Le romancier italien Giosuè Calaciura a reçu le prix Nicolas Bouvier au Festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo pour son livre «Pantelleria, La dernière île » (Notabilia). Agnès Séverin a été envoûtée par ce livre qui fait de cette île très méridionale un personnage de roman Un texte qui invite le lecteur au voyage dans un univers magnétique – l’île est volcanique – et à une plongée dans des strates d’histoire, de lave et de pierres.
Le romancier italien Giosuè Calaciura a reçu le prix Nicolas Bouvier au Festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo. En faisant l’île très méridionale de Pantelleria un personnage de roman, il invite le lecteur au voyage dans un univers magnétique – l’île est volcanique – et à une plongée dans des strates d’histoire, de lave et de pierres.
L’auteur de Malacarne – livre exceptionnel sur la Mafia et les mille compromissions insensibles qui lui font office de tentacules dans le monde ordinaire –, Borgo Vecchio et Je suis Jésus – rêverie dans la lumière qui règne sur le début des Évangiles –, fait de l’étrange île de Pantelleria le personnage de son dernier roman, éponyme.
Pourquoi Pantelleria ? « L’ île de ma passion, n’est pas celle-ci, c’est Levanzo, une île de l’archipel des Égades, qui fait partie de la Sicile-Nord », provoque le récipiendaire du prix Bouvier sur la scène du théâtre Chateaubriand. « C’est là que j’ai passé tous mes étés d’enfance. Pantelleria est une découverte que j’ai faite adulte. Parce que Pantelleria est une île très adulte qui a déjà fait ses choix. Qui a renoncé à la mer. C’est une île absolument introspective. Malgré la beauté de la mer qui l’entoure. Une mer dure, difficile, venteuse, presque toujours agitée. C’est ici que pour la première fois les Arabes ont importé le coton en Europe. Il faut imaginer cette île noire d’obsidienne fleurie de coton blanc. Pour la première fois, elle raconte l’arrivée des Autres, de la nouveauté du monde ». C’est ici, à la « limite bleutée du monde connu », qu’est arrivé aussi le Muscat d’Alexandrie. Le zibibbo.
Ici que les « excroissances tumorales d’une Création indécise (…) semblent éclater encore dans l’ébullition des temps primordiaux », lit-on sous cette couverture qui irradie de bleu. « Pantalleria est une île de pôles magnétiques qui, se repoussant et s’attirant, font qu’elle continue à flotter (…) ». Cette visite à Pantelleria s’offre comme une plongée magnétique d’un univers plus relié aux forces telluriques et aux strates profondes de l’histoire qu’à une réalité contemporaine, qui présente au monde une face rabougrie et l’autre violente et tragique. Selon que l’on se trouve du bon, ou du mauvais côté de la fortune.
« Pantelleria, aujourd’hui, reste une île-pont entre l’Europe et le Sud du Monde », souligne Giosuè Calaciura à Saint-Malo. Trait d’union qu’il évoque ainsi dans son roman : « au-delà de l’île s’ouvrent et se ferment les portes d’Hercule de l’Afrique : on en perçoit les odeurs, bouleversantes ; la proximité de ce continent pèse sur la densité de l’air, chaque goutte d’eau transporte l’écho d’une tragédie qui se transmet au jeu des marées, aux vagues qui se transmet au jeu des marées, aux vagues qui se creusent ».
L’écrivaine-voyageuse Clara Arnaud, membre du jury, évoque lors la remise du prix Nicolas Bouvier, « un voyage immobile, dans une île qui est un voyage en soi. C’est cela qui est beau aussi, ce voyage dans la profondeur d’un territoire et pas dans un mouvement de grande ascension ou de traversée ».
« Une attention aux choses, à l’épaisseur du temps, aux inflexions sur un paysage de la lumière que l’on trouve dans ce texte qui sont peut-être aujourd’hui la forme d’exploration la plus intéressante » ont aussi retenu son attention.
Les peintres japonais avaient cette extrême attention aux choses qui a inspiré, en particulier, Van Gogh à l’heure du Japonisme. Cette capacité à fixer pendant des heures un brin d’herbe jusqu’à en faire la chose la plus importante au monde. L’artiste évoque ainsi dans une lettre à son frère Théo datée du 17 septembre 1888 : « Si on étudie l'art japonais, alors on voit un homme incontestablement sage et philosophe et intelligent, qui passe son temps à quoi ? à étudier la distance de la terre à la lune ? non, à étudier la politique de Bismarck ? non, il étudie un seul brin d'herbe.
Mais ce brin d'herbe lui porte à dessiner toutes les plantes, ensuite les saisons, les grands aspects des paysages, enfin les animaux, puis la figure humaine. Il passe ainsi sa vie et la vie est trop courte à faire le tout. (...) J'envie aux japonais l'extrême netteté qu'ont toutes choses chez eux. Jamais cela n'est ennuyeux et jamais cela ne paraît fait trop à la hâte. Leur travail est aussi simple que de respirer et ils font une figure en quelques traits sûrs avec la même .»
Giosuè Calaciura rend son île mystérieuse précieuse en l’observant, en la scrutant avec cette extrême attention que décrit, et qui fascine Van Gogh. Dans ce roman voyageur, il en dévoile les détails lentement, un à un, comme un archéologue débarrasse minutieusement chaque fragment du passé de la poussière qui l’a dérobé à notre regard jusque-là. Il y a quelque chose de magique à cette découverte lente, amoureuse, de l’île. Picturale et envoûtante.
Il y a quelque chose de magnétique dans le pouvoir de fascination que l’une des îles les plus au Sud de l’Italie, qui sert de passerelle avec la Tunisie et le Nord de l’Afrique, exerce sur l’auteur comme sur ses visiteurs. Souvent fameux. Gabriel Garcia Marquez a passé ici un été, pour fuir la célébrité et se réfugier chez son traducteur dans la langue de Dante. Mon voisin à cette remise de prix malouine, l’écrivain-voyageur Anthony Sattin, qui vit une partie de l’année en Italie, a, lui, aussi été séduit par le charme de cette île volcanique au charme sombre et aveuglant.
Comme la vigne – « cette racìna, mûre, magnifique, prête à se transformer en moût » –, l’île doit souffrir pour livrer sa beauté aux regards. Ici, tous les travaux des champs se font à la main. « Il faut constamment la surveiller, pierre à pierre, dès qu’on abandonne quelque chose, les éléments, le vent reprennent immédiatement le pouvoir », raconte Giosuè Calaciura. « C’est cette capacité de l’île à faire face à une nature très dure que j’aime dans l’île de Pantelleria. La seule petite île de Méditerranée où l’on réussit à cultiver des agrumes. Il ne pleut pas à Pantelleria et pourtant il y a des agrumes. Les gens de Pantelleria, les Pantesques, ont décidé de la cultiver la terre d’une manière différente non seulement de l’île mère, c’est-à-dire la Sicile, mais aussi du continent ».
Chaque parcelle de terrain – les giardini, des jardins qui n’en ont que le nom - n’est occupée que par un seul arbre fruitier, entouré d’une espèce de forteresse de pierres qui capture l’humidité de la nuit. Les paysans ont ainsi appris à tirer des fruits de la moiteur nocturne. « Il faut imaginer ce qu’il y a de soin, d’attention, de spiritualité dans le travail et la tête d’un paysan de Pantelleria ». L’auteur évoque un « équilibre écologique, et une terre, sacrés. J’ai fait l’hypothèse que Pantelleria est une utopie réalisée, non seulement de la Sicile mais aussi de tout le Sud qui est entraîné ailleurs, par la mauvaise politique, la Mafia, sa solitude par rapport à la modernité ». Et de remercier le groupe d’édition Libella, propriétaire des éditions Notabilia, d’avoir publié le livre, avec « cette couverture magnifique » du peintre Piero Guccione.
Quand l’auteur du roman évoque le travail acharné. Son narrateur se tourne vers les remous de l’Histoire, évoquant « l’ennui habituel, l’éternelle allée et venue, en avant en arrière, d’envahisseurs et de fugitifs, de migrants et d’exilés, de guerriers et de vaincus, de touristes et de parturientes qui choisissent l’île pour accoucher comme s’il était plus sûr et hygiénique de venir au monde à Trapani, à Marsala, à Palerme, pour exorciser l’échange constant des rôles dans la comédie tragique de la Méditerranée ».
« Ce livre est une expérience. », évoque un autre membre du jury, l’écrivaine Tiffany Tavernier. « Nous avons tous eu un éblouissement avec ce texte. C’est beau d’avoir aujourd’hui un éblouissement. Nous avons voulu aller vers la beauté de la lave qui se fige, qui laisse une trace d’éblouissement Les îles, pourtant, ne sont pas forcément quelque chose qui m’attire. Et en plus une toute petite île. Et là, avec cette langue, Giosuè Calaciura déploie pour moi quelque chose d’inouï. De politique même. Même s’il faut creuser, gratter pour voir le politique parce que se cette île porte toutes les strates de l’histoire. Elle est marquée par cette richesse qui vient se heurter contre le basalte. Elle porte aujourd’hui deux populations qu’il raconte de manière extraordinaire parce qu’il y a des milliardaires, des stars, qui viennent se planquer à Pantelleria. Et vous avez les autochtones qui portent en eux toute leur histoire ».
L’île du Guépard, Lampedusa, rivage tragique où les réfugiés Africains échouent par vagues, n’est pas loin. Le paradis a toujours son envers. L’enfer aussi. « La Sicile, comme tout le Sud de l’Italie, n’a qu’un seul point cardinal, c’est le Nord où aller, où migrer, où construire autre chose », ajoute le lauréat du prix Nicolas Bouvier. « Aujourd’hui, la Sicile a tourné son regard à cent-quatre-vingts degrés car elle a compris que les nouveautés du monde viennent aujourd’hui du Sud. Avec toutes les contradictions, avec tout l’héroïsme et le caractère épique dans ces mouvements. Cette épopée a quelque chose de très antique. Cette île est une métaphore du monde ». « (…) une île unique dans la Méditerranée, étrangère et pourtant capable de refonder la perception que nous avons de cette mer redevenue limite et frontière », lit-on dans ce livre qui flotte au-dessus du temps. Une île en forme d’espoir. Ou d’extase.
>Pantelleria, La dernière île, de Giosuè Calaciura traduit de l’italien par Lise Chapuis. Notabilia, 131 pages, 14 euros. >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien
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