Répliques à la Lettre

Erasme, grand epistolier parlait des lettres comme de choses multiples, variant à l'infini. Dans plusieurs des lettres de Gustave Flaubert, le lecteur trouve des indications précieuses sur les intentions de l'écrivain au cours de la création.
En revanche, si Barbey d'Aurevilly ne voyait dans la correspondance que "gribouillage imbécile" et "inondation du bavardage humain, Flaubert exprimait sa déception au près de sa nièce Caroline après la lecture de la correspondance de Balzac . D'une manière différente Mallarmé aimait "crayonner" ses lettres le plus salement possible pour en écoeurer ses amis. Il notait: "Le meilleur de nous n'est pas destiné au papier à lettres."

La correspondance: une oeuvre en mouvement

Les barrières entre correspondances et véritables oeuvres littéraires sont floues. Au fond, c'est le temps qui décante les choses. Le phénomène de distanciation dans le temps donne la valeur aux correspondances. Elles deviennent alors des témoignages de l'époque.

La correspondance, un genre d'écriture féminin?

La Bruyère dans "Les Caractères", notait à propos du sexe féminin qu'il allait "plus loin" que celui des hommes dans le genre d'écrire car les femmes "trouvent sous leur plume des tours et des expressions qui souvent ne sont l'effet que d'un long travail et d'une pénible recherche." Le genre épistolaire note encore Flaubert est un genre exclusivement réservé aux femmes. Mais, les lettres de Madame de Sévigné forment l'archétype de l'écriture privée devenue littérature.

Un genre qui ouvre les chemins de la liberté.

La correspondance donne à l'écrivain un espace d'expression beaucoup plus ouvert. Le Siècle des Lumières voit l'expansion de la correspondance. Les lettres étaient lues dans les salons. Le roman épistolaire se développe.
Notez les Lettres Persanes de Montesquieu, La Nouvelle Héloïse de Rousseau ou encore Les Liaisons Dangereuses de Laclos. Cette littérature loue l'estime  dans laquelle est tenue la forme de la lettre.
Ainsi, la lettre comme mode privilégié d'expression des sentiments intérieures a fait son entrée en littérature.

Un genre qui sert l'oeuvre de l'auteur.

Prenons Marcel Proust, la correspondance est un des outils fondamentaux de son oeuvre. En témoignent ses lettres à Fasquelle et Gallimard. Il utilise la correspondance pour faire des révélations sur son oeuvre. Parmi elles, celle qui révèle que le Baron de Charlus "n'est pas du tout l'amant de Madame Swan mais un pédéraste." Cette révélation sulfureuse va finir par servir l'oeuvre de l'auteur de la Recherche. Proust sait qu'un parfum de scandale peut permettre à son oeuvre de prendre son envol.
La correspondance est une source inestimable sur la vie de l'auteur et la genèse de son oeuvre. Plus particulièrement le catalogue de l'exposition Proust du temps perdu au temps retrouvé qui se tient actuellement au nouveau Musée des Lettres et des Manuscrits à Paris souligne que la correspondance de Proust permet particulièrement de saisir un peu plus son oeuvre, mais aussi de ses goûts et de ses inspirations

Des correspondances entre les auteurs.

En lisant les lettres entre Gide et Valery, il ne semble à aucun moment au lecteur qu'ils correspondent réellement mais plutôt qu'ils développent des options esthétiques divergentes. Celui à qui est adressé la lettre n'est au fond qu'un moyen. La lettre permet à l'auteur de s'adresser à l'autre hors de sa présence. Entre Gide et Valery, la correspondance leur a offert les moyens de construire leurs propre personnalité. Jour après jour, à travers la forme de la lettre, ils composent l'oeuvre d'une amitié. Leurs lettres "ressemblent à des paysages d'âme" où leurs différences sont reconnues de manière féconde. La correspondance se fait miroir car elle révèle ce qui les étonne et les effraie en eux mêmes. Geneviève Hanoche-Bouzinac souligne encore que " cette correspondance est devenue le laboratoire d'une pensée".

A l'heure du courrier électronique, la correspondance aujourd'hui

Si aujourd'hui, nous sommes passés de la lettre arrivant avec surprise ou attendue avec excitation au courrier électronique, force est de constater que l'on vit un renouveau d'un certain genre de correspondance. Il est vrai que l'instantaneité de la réception soustrait le charme de l'attente et que la rédaction d'un courrier électronique n'est généralement pas aussi poussée que celle d'une lettre. Néanmoins, cette nouvelle forme de dialogue intervient comme un retour vers l'écrit.

La correspondance est "une écriture pour autrui" paradoxale nous informant de la psychologie des écrivains.
Prenez le dernier ouvrage de Marie Billetdoux, "C'est encore moi qui vous écris" , texte travaillé à partir de journaux et de correspondances parsemées de lettres d'amour, envoyées et reçues. La lettre devient matière du récit et souligne la présence de l'auteur.

Enfin, le principe même de l'écriture suppose un mouvement de distanciation et de réflexion. Dans l'acte même d'écrire se pose la question de la réaction qui induit un retour sur soi et la construction d'un système. En somme, la correspondance reste un genre littéraire absolument vivant qui a de belles perspectives futures .  

Temps Forts de l'édition 2010 du festival de Grignan

Correspondances et dialogues se donnent la réplique cette année à Grignan. Le festival invite le théâtre.
A l'initiative du maire de Grignan, Bruno Durieux, le Festival de la correspondance, né en 1996, date du tricentenaire de la mort de Madame de Sévigné célébre l'art épistolaire en rassemblant et découvrant des artistes interprètes et auteurs, en imaginant des spectacles et des lectures. L'événement couvre des champs très divers car il propose parmi d'autres possibilités des ateliers d'écriture et de calligraphie, des expositions allant jusqu'à installer des chambres d'écriture et de lecture.

Ces rencontres prônent les dialogues de la lecture et de l'écriture à travers des rencontres littéraires et des lectures spectacles. Pour la troisième année consécutive, le prix d'écriture Durance-Beaumarchais-SACD sera remis.
Cette année, l'invité d'honneur est Michel Bouquet.On notera l'adaptation de "Jean Vilar et ses compagnons l'invention d'un public" avec Myriam Boyer, Vladislas Galard et Eric challier jouée le 7 Juillet.
Yves Barbaut lira les lettres de Bernard-Marie Koltès où l'auteur écrit: "Me voici par exemple à la veille de me mettre au service du théâtre. Je crois en avoir pesé tous les dangers, en avoir mesuré les "inconvénients".
Roger Dumas et Jean-Pierre Marielle inviteront la grande amitié qui unissait André Gide et Paul Valery le 9Juillet. Une lecture dédiée à Tenessee Williams avec Brice Belaïdi; Robin Renucci et Christiane Cohendy.
Enfin, parmi les grands moments, notons le portrait d'Eugène Ionesco par Jean-Paul Bordes et Dominique Pinon.