« Un lieu à soi »

Virginia Woolf renaît grâce à Marie Darrieussecq

Virginia Woolf est décidément inoubliable. Marie Darrieussecq nous offre une nouvelle occasion de relire cette écrivaine emblématique du modernisme anglais avec sa nouvelle traduction du livre « Un lieu à soi ». Une occasion de redécouvrir cette féministe si importante dans le monde de la littérature. 

Les femmes cherchent leur place dans la littérature

Un lieu à soi c’est avant tout une histoire de femmes. Un rappel du caractère féministe de Virginia Woolf. Un livre sur les femmes certes, mais qui s’adresse aussi aux hommes. La romancière y explique dès les premières lignes son avis à propos des femmes et de la fiction : « Une femme doit avoir de l’argent et un lieu à elle si elle veut écrire de la fiction ». L’ouvrage, qui regroupe une série de conférences consacrées à ce thème que Virginia Woolf donna à l’université pour femmes de Cambridge en 1928, est écrit à la manière d’un roman. La romancière britannique déroule le fil de sa pensée avec humour et ironie, retraçant ce qui l’a amenée à ces conférences. Elle en dégage deux éléments indispensables pour permettre à une femme d’écrire. Le premier, c’est que la femme doit absolument avoir une chambre à elle qui peut être fermée à clé afin d’écrire sans être dérangée. Le deuxième, c’est de disposer de 500 livres de rentes permettant à l’écrivaine de vivre sans problèmes. À l’époque, les femmes n’avaient en effet pas le droit de disposer de l’argent qu’elles gagnaient. Deux piliers qui font aujourd’hui de ce livre un chef-d’oeuvre de la littérature féministe. 

L’importance des mots

A Room of One’s Own, originellement traduit par Une chambre à soi, devient Un lieu à soi dans la nouvelle traduction de Marie Darrieussecq. Un mot à ses yeux plus évocateur et plus significatif. Puisque les mots ont évidemment leur importance, en particulier dans la traduction. Ainsi, presque cent ans après la première parution du livre, Marie Darrieussecq apporte des changements qui pourraient sembler minimes à première vue, mais sont en fait d’une importance capitale compte tenu du sujet du livre. Quand Woolf parle de son métier, Darrieussecq traduit par écrivaine. Quand elle parle de ses amies moins bien payées que leurs collègues masculins, Darrieussecq écrit professeure. Des accords symboliques de la libération des femmes qui, malgré le propos du livre, avaient du mal à s’affirmer aux XXème siècle, et ne sont pas encore totalement acquis aujourd’hui… On comprend donc toute l’importance de la traduction et la responsabilité de celui ou celle qui s’en charge.

Une traductrice de choix

D’ailleurs, Marie Darrieussecq n’a pas été choisie au hasard. L’écrivaine et psychanalyste se veut un peu provocante, en faisant exploser les tabous. Un peu comme celle qu’elle traduit. C’est le cas par exemple dans son roman Il faut beaucoup aimer les hommes (P.O.L, 2013, prix Médicis), où l’écrivaine s’interroge sur le racisme, mais aussi ce qu’est d’être femme, ou ce qu’est d’être mère. Des thèmes que l’on retrouve aussi chez Virginia Woolf, notamment dans Mrs Dalloway, qui offre une réflexion intense sur la place de la femme et le rôle de la mère à travers son personnage principal. 

La place de la femme est donc une cause chère à Marie Darrieussecq. D’ailleurs, elle tient depuis 2011 une chronique sur France Culture intitulée « Place aux femmes ». Elle s’exprime aussi dans la chronique « Écritures » du quotidien Libération. Elle y défend par exemple le statut de la femme dans la littérature, en s’offusquant de l’absence de femmes dans le programme de littérature de troisième. Encore un point commun avec l’auteure britannique. Les deux écrivaines oeuvrent pour offrir à leurs lecteurs une vision différente du monde. 

Rupture avec les codes de la littérature

La vision de Virginia Woolf, elle, est incroyablement moderne et stupéfiante. Outre son féminisme  assumé peu courant pour l’époque, Woolf abordait dans ses romans des thèmes encore très peu évoqués pendant l’entre-deux-guerres. On découvre ainsi des problématiques nouvelles, telles que les troubles mentaux, l’homosexualité, la guerre, l’industrialisation ou encore le suicide. Des thèmes qui font écho à la propre vie de l’auteure qui était bisexuelle et bipolaire, et qui est morte à seulement 59 ans lorsqu’elle se suicida par noyade en 1941. Mais si Virginia Woolf a changé les sujets abordés par la littérature du XXème siècle, elle en a également chamboulé les codes. Celle qui est considérée comme une des plus grandes écrivaines modernistes de tous les temps est aussi une des plus grandes innovatrices de la langue anglaise. Ses oeuvres, comme Mrs Dalloway,  La Promenade au phare, ou encore Orlando, délaissent l’intrigue et la progression dramatique pour se concentrer sur l’expérimentation de différents procédés de narration. Plus de chronologie, de chapitres ni de dialogues dans les oeuvres de Woolf. Tout est fragmenté, pour entrer plus en profondeur dans l’esprit et les états d’âme de ses personnages, sans vraiment de lien logique. Une des caractéristiques premières du modernisme, qui va en inspirer plus d’un, puisque l’influence de Virginia Woolf est considérable, ressentie encoure de nos jours. 

Virginia Woolf sait faire fléchir le temps, disparaitre les frontières, et donner un poids tout nouveau aux mots. Elle fascine ses lecteurs, marque son époque et la nôtre, en résonnant toujours dans l’actualité. C’est d’ailleurs ce qui lui a valu son entrée dans la prestigieuse édition de la Pléiade en 2012, neuvième femme à recevoir ce privilège, et cette peau neuve offerte par Marie Darrieussecq. Une occasion à ne pas rater de (re)découvrir cette femme exceptionnelle, écrivaine incontournable. 

>Virginia Woolf, "Un lieu à soi", Denöel

En savoir plus

>Découvrez Marie Darrieussecq abordant le thème de la fiction et des femmes :

>Découvrez un extrait du livre Un lieu à soi et sa nouvelle traduction : 

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