Vladimir Nabokov nous a quittés en 1977. Pourtant 33 ans plus tard, il revient, passe devant tout le monde grâce à un livre qui défraie une nouvelle fois la chronique: L'Original de Laura (C'est plutôt drôle de mourir).Regardons de plus près ce texte posthume et revenons sur la figure de ce grand monsieur des lettres.
Tout d'abord un titre qui, à lui seul est un élément de réflexion, "L'Original de Laura (C'est plutôt drôle de mourir)". Il nous parle d'un original, laissant sous-entendre qu'il peut donc y avoir un faux et puis une affirmation scandaleuse qui se moque de la mort. Autrement dit, Nabokov est mort, vive Nabokov!
Ce dernier texte de cet auteur inépuisable pose problème car posthume et inachevé. Avant de mourir Nabokov avait expressément demandé à sa femme de brûler le manuscrit s'il n'était pas fini avant sa mort. Or, Nabokov meurt et le texte n'est pas brûlé, mais glissé dans l'écrin d'un coffre fort suisse où il attend jusqu'en 2009.
Après dit-il, bien des hésitations, Dmitri, le fils unique de Nabokov se décide à le publier, après qu'il ait eu ue vision de son père, Nabokov, lui disant "avec un grand sourire ironique: "T'es vraiment dans un sacré bordel! Allez lance-toi et publie-le"!
Qui était donc ce coquin de Nabokov? Né dans une grande famille aristocratique russe, il est très tôt entouré par les livres qu'il dévore aussi bien en russe qu'en français ou en anglais, parlant ses langues dès l'âge de sept ans. Suite à la Révolution russe, il quitte avec sa famille la Russie pour l'Allemagne. Puis, Paris et Londres où il publie son premier roman Machenka. Puis, de son russe natal, il publie en anglais "La vraie vie de Sebastian Knight" en 1941. L'écrivain russe devient alors anglophone. Etant donné les événements, il part pour l'Amérique où il se fait naturaliser américain en 1945 et enseigne dans la célèbre université de Cornell. En 1955, il publie Lolita dont le succès va le propulser aux sommets de la gloire.
Or, il s'en est fallu de peu. Vera, la femme de l'auteur a sauvé des flammes à plusieurs reprises le manuscrit de Lolita. Ce roman ft scandale et fut refusé par plusieurs maisons d'édition. Il finit par être publié à Paris où la critique reconnaît un véritable chef d'oeuvre. Lolita sera vendu à 15 millions d'exemplaires. Adaptée au cinéma à deux reprises par Stanley Kubrick en 1962 puis par Adrian Lyne en 1927, ce livre aura été probablement le plus sulfureux du siècle. Soulignons encore que les américains aiment rappeler que Lolita nécessita à Nabokov le même temps de composition que Madame Bovary à Flaubert. Ils considèrent ainsi Lolita comme leur Madame Bovary nationale!
Ce dernier texte que Gallimard publie, L'Original de Laura, intervient comme un exercice de style assez acrobatique. Inachevé, il se présente en une série de fiches Bistrol appréciées par Nabokov. Le fils Dimitri qui a ouvert la boîte de Pandore s'en est emparé le premier et on ne saura jamais s'il n'a pas rebattu les cartes, en changeant l'ordre préétabli. Le mystère Nabokov persiste et se transmet. Cent trente huit fiches qui invitent le lecteur à rentrer dans "le cabinet d'écriture" de l'auteur. Augustin Trapenard le souligne en notant: "A chaque page, son fac-similé de manuscrit, annoté, numéroté, étonnamment lisible malgré les gommages et les ratures. Les mystères de la création littéraire sont au coeur de ce texte où l'on trouve pêle mêle, un manuscrit secret, un roman à clef et une série de mises en abyme vertigineuses". Trapenard va jusqu'à dire que la jeune Flora de ce texte inachevé est Lolita ressuscitée.
Enchanteur prodigieux des mots, Nabokov travaillait de manière très méthodique grâce à ce système de fiches écrites au crayon à papier que certains appellent "la version nabokovienne de l'ordinateur contenue dans une boite à chaussures". L'écriture de Nabokov est un jeu littéraire complexe, nourri par des effets de miroir et des figures de style sophistiquées. Les éditions Robert Laffont publient par ailleurs ses cours et ses conférences. Nabokov transmet ses leçons sur des classiques européens, ses analyses de maîtres russes et même de Don Quichotte de Cervantès, tout cela enveloppés à travers son irresistible humour.
Mais, là pour "Laura", Nabokov irait-il encore plus loin. Comme le note encore Trapenard "Tout se passe comme si Nabokov, lui-même au seuil de la mort, prenait un malin plaisir à détruire son oeuvre, ses personnages, son écriture naguère si contrôlée. Au point qu'on peut se demander si le texte n'était pas destiné à être fragmentaire".
Du scandaleux et formidable jongleur des mots, Nabakov traverse les temps et devient visionnaire. "L'Original de Laura", compte tenu de sa disposition ferait l'éloge du fragment et sous cet angle deviendrait terriblement contemporain.
On peut tout de même douter de cette hypothèse. Car, perfectionniste jusqu'au bout des ongles, travaillant sans relâche, Nabokov en demandait autant à son vaste public, ne craignant pas de souligner "un bon lecteur est relecteur". Le critique Julian Rios juge toutefois que le fils Dmitri a eu raison de ne pas suivre à la lettre les volontés du père avant sa mort: "Si je me mets à la place de Nabokov, qui aspirait toujours à l'excellence, je comprends et j'approuve son refus de publier à titre posthume cette œuvre interrompue par la mort. Mais comme curieux lecteur je ne peux que jouir du privilège d'observer par le trou de la serrure comment l'auteur barre et réécrit, se remet à écrire, après un nouveau repentir. Je crois que les défenseurs et les ennemis de la publication de ces fragments de Nabokov en exagèrent les défauts et les réussites. Cette "Laura" n'ajoute pas de nouveau laurier à l'œuvre de Nabokov mais elle n'en voile pas non plus l'aura persistante. En somme, il s'agit d'un embryon de roman qui, par-ci par-là, montre le brio d'un créateur inégalable." Une autre spécialiste, Lila Azam Zanganeh, elle juge "le livre «bouleversant". Ce sont dit-elle "les dernières esquisses d'un grand maître arrivé au terme d'une prodigieuse course contre la montre."
Dans un article fort intéressant intitulé Pour une poérotique de Vladimir Nabokov, Didier Auger rappelle la notice du premier essai de Maurice Couturier sur notre auteur, qui établissait un rapprochement entre Nabokov et Mallarmé : "Nabokov semble mettre en place un système langagier extrêmement cohérent qui simule un discours vrai, mais utilise de multiples déboîtements référentiels et énonciatifs pour le remettre en cause et le faire vaciller, créant finalement une multitude d’objets muets qui semblent ne s’adresser qu’aux sens plutôt qu’à la seule intelligence du lecteur, érigeant cet édifice quasi pictural dont rêve la littérature moderniste depuis Mallarmé ". En 1891, Mallarmé déclarait à Jules Huret "le monde est fait pour aboutir à un beau livre". Nabokov semble tendre avec ce dernier texte à ce "Grand Oeuvre" que préparait Mallarmé dans l'angoisse, la fatigue et le vertige de la page blanche.
Gallimard publie parallèlement à L'Original de Laura le recueil complet des nouvelles écrites par Nabokov entre 1921 et 1958. Soixante quatre chef d'oeuvres jusque-là dispersés chez plusieurs éditeurs sont regroupés dans un volume de la collection quarto de Gallimard. Le quotidien suisse Le Temps parle d'"un éblouissement". En effet, de Paris à New York, en passant par Berlin, d'exil en exil, des changements d'adresses comme autant de passionnants voyages. On y trouve enfin deux nouvelles écrites en russe, inédites en France, Natacha et Bruit.
Maurice Couturier qui s'est occupé spécialement de la traduction du manuscrit de "Laura" mais aussi d'une très grande partie du recueil des nouvelles souligne que beaucoup d'autres textes dont Nabokov n'avait pas autorisé la publication devraient maintenant paraître. Il cite par exemple les lettres de Nabokov à sa femme Véra ou encore un recueil d'écrits sur les papillons dont il avait la passion.
En somme, ce court texte de Laura "enfermé si longtemps comme dans la chrysalide d'un cyllopcis pyracmon nabohori, papillon découvert par l'écrivain", sonne aussi comme la promesse de nouvelles parutions dont on se réjouit déjà. Nabokov n'a pas fini de nous surprendre !
Vladimir Nabokov, L'Original de Laura (C'est plutôt drôle de mourir), traduit de l'anglais par Maurice Couturier, Gallimard.
Vladimir Nabokov, Nouvelles Complètes, traduit du russe et de l'anglais par Bernard Kreise et al, Gallimard.
Vladimir Nabokov, Littératures, traduit de l'anglais par Hélène Pasquier et Marie-Odile Fortier-Masek, Robert Laffont.
Nabokov, Cahiers CISTRE 8, L’Age d’Homme, 1979
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