Tintin, Le Vieil Homme et La Mer, L'Enfant Noir ont baigné son enfance. Une enfance qu'il raconte dans un livre délicieux, Demain j'aurai vingt ans. Son auteur: Alain Mabanckou. De Pointe Noire au Congo dans les années 70, l'itinéraire de celui qui aimait aussi les livres pour les rêver. Rencontre avec un écrivain autour d'un roman important de la rentrée et d'un univers parsemé de livres. Regard sur notre monde qui sonne comme un souffle d'espoir bénéfique sur la littérature de langue française et sur la poésie en particulier.
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Alain Mabanckou: Depuis le lycée, en Afrique. Je devais avoir douze ou treize ans, et j'écrivais de la poésie...
A.M: Les bandes dessinées : Tintin, Blek le Roc, Astérix et Obélix. Puis quelques livres comme Le Vieil homme et la mer, Le petit prince, L'Enfant noir, Les contes de la brousse et de la forêt.
A.M: Le narrateur du roman est un jeune garçon qui regarde le monde et qui se pose des questions pour briser le silence que les adultes imposent aux plus petits. C'est un cliché que de dire que l'enfance est une période de naiveté. C'est là que je joue le mode et se pose les questions fondamentales du monde. Michel - le narrateur - peut aussi bien être un enfant d'Europe, d'Asie, d'Amérique etc. Les années 70-80 ont changé la face du monde. Mais que pensaient les enfants en ce temps-là et comment avalaient-ils les mensonges des adultes ? Michel essaie de voir un peu plus clair dans cette confusion.
A.M: C'est surtout le poète congolais Tchicaya U Tam'si - qui admirait beaucoup Rimbaud. Quand j'ai relu ce poète et que j'ai entendu mon compatriote Roch Lessaint le lire en public, j'ai été subjugué. J'étais en pleine écriture de mon roman qui n'avait pas alors de titre. J'ai bondi lorsque j'ai entendu ce vers à la fois doux et nostalgique : demain j'aurai vingt ans...
Je ne voyais plus un autre titre pour mon roman !
A.M: Ce livre est une photographie d'une certaine periode qui nous concerne tous : celle du grand chamboulement et de la nécessité de la rencontre avec l'Autre. La question palestinienne est très prépondérante, la France se débat avec l'histoire des diamants que Giscard d'Estaing aurait reçus du dictateur africain Bokassa, en Iran c'est la traque du Shah par l'ayatollah Khomeiny etc. On croirait que les enfants - surtout ceux d'Afrique - étaient à l'écart de ces turbulences. Ce n'était pas le cas. Certains esprits malins iraient jusqu'à penser qu'à cet age un enfant ne jouent qu'au ballon. Le grand reproche que je fais aux adultes c'est d'avoir perdu le sens de la naiveté et de rechercher à tout prix la logique. Curieusement je préfère écouter la naiveté parce que c'est là que jaillit les premiers balbutiements de la philosophie. L'adulte recherche le vrai, l'enfant laisse ouverte la porte des questionnements.
A.M: Je ne lis pas quand j'écris. C'est mieux de lire après le point final afin d'oublier la voix de son propre livre ou d'imaginer qu'elle se joint à celle des livres qu'on aime. A chaque point final je révisite les livres qui m'ont toujours enchanté : Mort à crédit de Céline, Cent ans de solitude de Marquez, Le Tunnel d'Ernesto Sabato.
A.M: La poésie doit etre sauvée de la désaffection actuelle. La poésie existe, et les plus grands livres, même en prose, sont grands parce qu'il y a une charge poétique. Pensons au Livre de ma mère d'Albert Cohen ou à Pedro Paramo de Juan Rulfo... Demain j'aurai vingt ans est finalement aussi un hommage que je rends à la poésie puisque le narrateur écrit des poèmes à sa dulcinee...
A.M: Je suis contre ceux qui pensent que la littérature française n'existe plus. Elle est riche. Il n'y a qu'a lire par exemple Pierre Michon, Le Clézio, Philippe Forest, Jean Echenoz, Laurent Mauvignier ou la jeune génération incarnée par Stéphane Audeguy, Valentine Goby, Alice Ferney, Jean-Baptiste Del Amo, David Foenkinos, Gilbert Gatore etc. C'est une littérature en pleine mutation, et il nous reste à la faire connaitre aux Etats-Unis où elle est totalement absente. Je définis cette littérature comme celle de la reconquête du monde, un monde dans lequel nous voudrions que l'imaginaire s'exprime aussi en langue française.
A.M J'ai lu en cette rentrée littéraire une dizaine de livres. J'ai été surpris par L'Insomnie des étoiles de Marc Dugain (Gallimard), Le coeur régulier d'Olivier Adam (L'Olivier), Apocalypse bébé de Virginie Despentes (Grasset) et deux romans qu'il faudrait vraiment défendre parce que ces deux auteurs méritent d'avoir un public :
Stéphanie Hochet, La distribution des lumières (Flammarion), Yahia Belaskri, Si tu cherches la pluie, elle vient d'en haut (Ed. Vents d'ailleurs). Ces deux derniers auteurs placent l'individu au coeur du chamboulement de la société. Yahia Belaskri a une vision originale de la mutation de la société algérienne et on lit à travers une écriture fine, élégante et maitrisée tout l'humanisme qui fait défaut à certains romans contemporains trop enclins à suivre l'air du temps. Stéphanie Hochet est une vraie plume, ses mots sont des projectiles traquent les turpitudes de notre monde. Dans ce roman il s'agit de "sauver" une enfance abusée...
A.M: Rien et tout. Il ne faut pas donner à la littérature une fonction de sapeur pompier. Nous écrivons et c'est aux lecteurs de voir dans quelle mesure les livres peuvent changer leur vie - et peut-être aussi changer la vie de l'auteur...
Alain Mabanckou, Demain j'aurai vingt ans, Gallimard.
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