«Un texte Une femme»

Sarah Sauquet : «J'ai composé l'anthologie des écrits féministes oubliés»

Sarah Sauquet a constitué avec Un texte Une femme (LibriSphaera), une anthologie unique des textes écrits par les femmes sur leurs conditions depuis l'Antiquité jusqu'au XXe siècle. Près de mille pages édifiantes, passionnantes qui nous font découvrir certaines autrices méconnues et nous font mettre en perspective historique l'évolution de la pensée féministe. En ce mois de mars qui met les femmes à l'honneur, nous avons rencontré celle qui est à l'origine de ce travail remarquable. 

Portrait de Sarah Sauquet. Photo Scander Aidoudi.

Portrait de Sarah Sauquet. Photo Scander Aidoudi.

Professeure de lettres, Sarah Sauquet est avec sa mère Dominique Sauquet conceptrice de l'application Un texte Un jour. Sarah Sauquet est également une ardente défenderesse de la cause des femmes et une inlassable chercheuse de textes en or parmi les pépites de la Bibliothèque Nationale. Ainsi est née Un texte Une femme, fruit de plusieurs années de recherches, ensemble de textes centré sur la question des femmes vue par les femmes elles-mêmes.

L'invisibilité des femmes, malgré leurs écrits majeurs

Sur plus de 900 pages, cette anthologie rassemble 366 écrits de 110 autrices différentes provenant de 8 pays, depuis l'Antiquité jusqu'au XXe siècle. Comme le soulignent dans la Préface les membres de l’Association Française du Féminisme, ce livre est «plus qu’un acte engagé, une véritable nécessité pour rééquilibrer la balance et pour (re)découvrir enfin les autrices et leurs écrits si longtemps restés dans l’ombre.» Cet ouvrage de référence, organisé au fil des jours de l'année pour inciter à une lecture progressive, avec une biographie et une bibliographie correspondant à chaque autrice, montre en creux l’invisibilisation des femmes en littérature et, au-delà, dans la culture et le monde de l’art en général. Comment comprendre que certains de ces textes majeurs aient pu «passer inaperçus»?

Une résonnance particulière à l'ère de #metoo

Alors que le XXIe siècle est entré dans l'ère #metoo, cet ouvrage replace les combats des femmes dans une perspective historique. Un texte Une femme  n'est pas seulement éclairant, il est indispensable. Les mères devraient l'offrir à leurs filles comme à leurs fils, pour que les unes et les autres comprennent à quel point l'identité féminine et la cause féministe sont une conquête de chaque jour. Rencontre avec une passionnée des lettres et de la cause des femmes.

Viabooks : Vous êtes une spécialiste des anthologies littéraires. Pourquoi avoir choisi de vous consacrer au thème des femmes ?

-Sarah Sauquet :  Je suis femme, fille et mère. Ces trois dimensions me constituent. Et je suis aussi une femme de lettres. J'ai réalisé qu'en littérature, non seulement les héroïnes féminines sont souvent dépourvues de prénom, mais qu'en plus dans l'Histoire, les écrits de femmes sont peu représentés. J'ai pensé qu'il n'y en avait peut-être pas beaucoup. Quand j'ai commencé mes recherches, je me suis rendu compte qu'au contraire, il en existait de nombreux, de grande qualité et qu'ils étaient tout simplement invisibles. J'ai voulu remédier à cette ignorance et réparer une injustice.

Vous avez retenu 366 écrits de 110 autrices. Selon quels critères avez-vous réalisé votre sélection ? 

-S.S. : Il fallait d'abord que ces écrits soient écrits par une femme. Ces textes proviennent de femmes aux horizons divers, ce qui nous montre la diversité de leur engagement. Ensuite, je souhaitais qu'ils abordent la condition féminine sous tous ses aspects, des plus concrets comme l'avortement ou les féminicides, aux plus généraux comme l'émancipation, la liberté, l'égalité des droits ... De plus, il fallait que ces textes me touchent, me semblent fondateurs, référents en quelque sorte. Finalement de la romancière à la sage-femme, de la physicienne à la salonnière, des États-Unis à Tahiti en passant par le Québec ou la Suisse, du roman aux mémoires en passant par les lettres et essais, j'ai privilégié la diversité des autrices, textes et thèmes abordés.

Quelles sont les femmes qui vous semblent les plus marquantes ?

-S.S. : Dans mon petit panthéon personnel, je retiens Sarah Bernhardt. Une personnalité extraordinaire de lucidité et dont les écrits sont méconnus. Elle était tellement optimiste, forte, «résiliente» dirait-on aujourd'hui. Je retiens aussi les soeurs Brontë, qui ont exprimé si bien la puissance du sentiment féminin et Marie Curie, scientifique de premier plan, dont on sait que la postérité n'a pas tout de suite reconnu la grandeur en sureprésentatnt le rôle de son mari. Cette injustice est en train d'être réparée aujourd'hui. 
J'éprouve une admiration particulière pour Olympe de Gouges avec sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Angélique du Coudray, sage-femme du XVIIIe siècle, avec son Abrégé de l’art des accouchements. Et je donne aussi une mention spéciale à la reine Pōmare IV (1813 – 1877) surnommée la reine Victoria de Tahiti : dans sa Lettre à Auguste Lucas, elle affirme sa royauté malgré sa féminité, elle qui régnera pendant cinquante ans. Je citerai aussi Mary Wollstonecraft ( 1759-1797) qui, dans Les Droits des femmes et l’injustice des hommes, ose demander : Quel droit ont-ils donc de nous mépriser ? Ou encore l'avocate Jeanne Chauvin (1862-1926) qui dans Proposition de loi sur la capacité des femmes mariées promeut l'idée d'une émancipation de la femme Sans l’autorisation du mari.

Portrait de Sarah Sauquet. Photo Nicolas Auproux.

Et celles qui vous ont le plus touchée ?

-S.S. : Sans nul doute, Marie Lenéru ( 1875-1918). Elle était sourde et aveugle. Elle  est devenue dramaturge et a écrit sur le handicap. Dans son Journal, elle a écrit un passage bouleversant intitulé Être sourde qui montre combien la surdité est liée au silence des mots. En écrivant, elle a parlé, elle ne s'est pas tu ! Elle a montré la voie d'un accomplissement malgré les limites de son corps. Elle a consacré un essai à Helen Keller, mais est moins connue qu'elle. C'est bien dommage. Et puis comment ne pas être touchée par Madeleine Pelletier (1874-1939), psychiatre française qui a posé très vite un regard sur le genre. Dans L’Éducation féministe des filles, elle conseille de proscrire les poupées. Elle a écrit aussi sur le harcèlement de rue, l'avortement et sur la place de la femme dans la cité. Sa contribution à la pensée féministe est essentielle. 

Vous vous êtes limité aux textes libres de droits. Des autrices contemporaines sont donc absentes. Quelles sont celles que vous auriez aimées retrouver dans ce recueil ?

-S.S. : On connaît mieux les femmes écrivaines récentes. J'ai préféré privilégier les moins médiatisées. Cependant, j'aurais aimé retrouver les incontournables Virginia Woolf, Simone de Beauvoir et Marguerite Duras. Mais aussi la sénagalaise Mariama Bâ, autrice d'Une si longue lettre, la québécoise Anne Hébert, Régine Deforges et Pauline Réage pour leur son apport à la littérature érotique. Et aussi Elisabeth Badinter, Françoise Héritier, Mona Chollet...  Il est heureux que les femmes du XXIe siècle écrivent et soient de plus en plus reconnues.

Qu'est-ce que la lecture de ces écrits de femmes a changé en vous ?

-SS : La conscience d'une «sororité» à travers les âges. Il est très troublant de retrouver des textes datant du XVIIe siècle qui résonnent encore aujourd'hui avec une telle acuité. Certains de ces écrits auraient pu être écrits aujourd'hui ! Est-ce à dire que la situation n'a pas évolué pour les femmes ? Non, car de belles avancées ont eu lieu dans les domaines médical et juridique notamment. Mais sur le plan des principes et de la place des femmes, on voit qu'il y a encore beaucoup à faire. Il était temps de remettre en lumière celles qui avaient déjà posé de nombreux axes de réflexion. J'espère que cette anthologie, qui malgré ses 920 pages est par essence restrictive, donnera envie de relire ces autrices exceptionnelles.

>Sarah Sauquet, Un texte Une femme, LibriSphaera, 35 euros, 920 pages
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