Face à un monde désenchanté et aux signes de sa décadence, le dernier ouvrage de Michel Houellebecq Anéantir (Flammarion) montre comment les ressorts de l'irrationnel et de la pensée magique tentent d'ouvrir une voie résiliente. L'artiste Eric Val-Harboit nous livre une lecture très personnelle de ce qu'il voit comme un ultime soubresaut vers une nouvelle illusion (mal)heureuse.
Michel Houellebecq nous prend à revers, toujours, alors que les cibles de son analyse de la société occidentale contemporaine sont aussi prévisibles, avec un peu d’esprit déductif, que la cinquième cible de l’organisation terroriste inédite qui structure l’intérêt des deux premiers tiers du livre.
Après avoir, livre après livre, réglé nos comptes avec la tyrannie de la pulsion sexuelle, de l’abdication des principes élémentaires du respect de la dignité humaine, avec la marchandisation des corps, avec le passage du réel au virtuel, avec la mise à genoux devant des tyrannie obscurantisme, Anéantir propose l’exploration d’un ressort caduc et immémorial qui permet de tenir dans un monde désenchanté.
Le récit laisse perplexe : comment relier les attentats spectaculaires autant qu'énigmatiques, avec les itinéraires politiques et existentiels des différents personnages ? Avec ce faisceau confus de rêves,, d’éléments qui flattent notre désir projectif de justice, de souhaits d’harmonie new-age?
Dans la première partie du récit,, on se prend à rêver. la France a reconquis un rang mondial majeur, ses productions éclipsent celle de l’Allemagne. Le vieux directeur de la DGSI échappe à la mort puis à une indignité, l’amour naît ou renaît ici et là, l’idéal aussi, les méchants comme Indy sont punis, les familles retrouvent l’harmonie perdue...
Il nous faut des histoires. L’humain ne peut vivre sans histoires et surtout sans croire. Et croire préférentiellement en les histoires les moins rationnelles est une donnée de notre esprit , que nulle modernité n’est à même de contrer.
Alors nous croyons dans le fantastique, car la pensée magique a une vertu thérapeutique.
Ce fantastique, Anéantir commence par nous en servir, comme une histoire qui serait subjuguante, et heureuse aussi, avant de retomber sur terre et de préciser les contours plus réalistes des faits, et pour commencer à compter les morts.
L’irrationalité peut se manifester de façon très concrète, comme le montre de façon fulgurante la mystérieuse entité qui souhaite un retour à un monde magico-animiste.
Ou appliquée, comme la foi religieuse sans faille de la sœur du personnage principal , foi sans postérité au passage.
Ou de façon très immatérielle comme le doux monde onirique de Paul qui scande le livre.
Ou juste idéaliste sans réelle conviction, mais plein d'intentions bienveillantes du mouvement néo-paganiste, qui croît sur les désillusions de la morale post-moderne et se raccroche à la réincarnation.
Ou encore (l’expérience microcosmique du destin personnel parallèle au destin universel, un autre ressort de la pensée archaïque) dans l’espoir fou qui refuse les signaux du cancer et qui mène droit à la mort, à l’anéantissement.
C’est la terreur devant la possibilité de l’anéantissement de soi, du monde, qui anime la pensée magique. Il faut inventer des histoires merveilleuses, de merveilleux mensonges; il faut en inventer en permanence, et à deux, à plusieurs, à l’échelle d’une nation ou d un peuple entier pour rester confiants, irrationnellement. Le message de Houellebecq est écrit noir sur blanc et en dernière page, immanquable, la lucidité sur l’illucidité.
La crise sanitaire actuelle a révélé d’immenses gisements de pensée prélogique, a ravivé des imaginaires qui avaient, croyait-on, sombré comme la terre plate ou les extraterrestres, et en a créé d’inédits comme la 5G injectable, le vaccin stérilisant, les complots de toutes eaux. Une liste infinie d’excroissances baroques de la pensée qui préfigurent, nous dit Houellebecq, l’état prévisible de la psyché humaine devant le désastre écologique imminent en général et l’effondrement de l’Occident en particulier.
Message : devant la perspective de l’anéantissement, il y la tentation du refuge dans la pensée magique, qui est une force toujours à l’œuvre y compris dans le monde contemporain.
Cette pensée irrationnelle, ne la laissons pas dans un énième angle mort, ou acceptons-la, mais alors comme une illusion de plus.
>Michel Houellebecq, Anéantir, Flammation, 736 pages, 26 euros
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