Le dernier roman d'Umberto Eco, Le cimetière de Prague, à peine paru en France, caracole déjà en tête des ventes, après avoir fasciné plus de 600 000 lecteurs en Italie.Un succès annoncé qui nous arrive auréolé d'une atmosphère de polémique. Umberto Eco, en effet, a été accusé par certains de favoriser la diffusion de thèses antisémites sous couvert de les dénoncer.
Que penser de ce récit romanesque qui surfe sur l'histoire troublée de la fin du XIXème siècle et compose un habile tissu fait de vrai et de faux, d'érudition et de digressions sur fond de sombres luttes entre jésuites, juifs et franc-maçons?
Un constat d'abord : le livre se dévore comme un feulleton à la Dumas, avec ses rebondissements et manigances. Le personnage central Simon Simonini est un antisémite obsessionnel, qui traque le juif parmi toutes les crises du sud de l'Italie avec Garibaldi, au siège de Paris sous la Commune, ainsi que sous l'affaire Dreyfus , jusqu'à Prague, lieu d'une réunion imaginaire entre rabbins complotant pour anéantir la chrétienté... Autant de faits qui se tissent sous le point de vue déformé de cet être déséquilibré. Simonini est un penseur faux qui sait néammoins donner à ses théories toutes les apparences de la logique et de l'érudition, se fondant pour partie sur des sources, qui ont réellement existé. De fait, nous voici plongés dans les antres des conspirationistes, à la rencontre de personnages comme l'abbé Barruel, obsédé par les influences maçonniques pendant la Révolution et l'Empire, le socialiste Toussenel, inventeur de l'antisémitisme de gauche, ou encore Edouard Drumont, l'auteur de "La France juive".
Au coeur du récit également, la genèse du livre Les Protocoles de Sages de Sion, paru en 1880, base idéologique du concept de "complot juif mondial" auquel notre héros est censé participer et qui ne fut qu'une imposture, bien que souvent cité comme réel.... Que de jeux de miroirs, de labyrinthes d'ombres dans lequel Umberto Eco excelle. Mais de même qu'à force de regarder des films d'horreur, on finit par avoir peur des oiseaux, ce livre finit par perdre son lecteur dans une sorte de non-sens du bien, inversant les repères et accordant à un être dérangé une sorte de pouvoir secret. Ce cimetière des mauvaises idées reçues laisse un sentiment trouble.
Religion, sociétés secrètes et luttes fraticides de pouvoir.. tous les ingrédients sont réunis pour reitérer le succès phénoménal du Nom de la Rose, un parfum de sulfure en plus. Entre temps le Da Vinci Code est passé par là et le public a plébiscité le genre de romans ésotériques à consonnances pseudo-historiques.
Mais Umberto Eco n'est pas Dan Brown. Ses citations sont fondées, ses recherches exemplaires. Et lorsqu'il exhume les poubelles de la mémoire en ressuscitant des textes injurieux, il nous force aussi à nous retourner en arrière, tout en nous tenant en haleine, dans une intrigue qui nous emporte presque malgré nous. Alinsi se fonde le malaise: peut-on divertir tout en surfant sur des idées fallacieuses et conduire avec brio l'invraisemblable tranquillité des fausses certitudes que rien ne peut dérouter ? Certes le lecteur sait que ce personnage central est abject , mais il ne peut s'empêcher de pénétrer dans sa logique. Le même débat avait sous-tendu la sortie des Bienveillantes de Jonathan Littel : peut-on se placer du point de vue du bourreau en évitant la complaisance ? L'exercice est dangereux surtout s'il est habilement mené, comme c'est le cas évidemment avec Eco.
Alors, certes, Umberto Eco n'a voulu en aucun cas prôner l'antisémitisme, et il s'est exprimé clairement en ce sens, mais il participe à une sorte de fascination du pire, en consacrant plus de 500 pages à un sujet équivoque. Là où le Da Vinci Code sonnait toujours faux, donc peu dangereux, le Cimetière de Prague, sait se montrer convaincant, admirablement érudit, et c'est en cela qu'il crée la confusion. Ses" effets spéciaux", "spécieux" pourrait-on dire, sont trop parfaits pour sembler faux. Et le réel évoqué redonne vie à une littérature, qui ne méritait pas tant d'honneur.
A la fin du livre, il est écrit : "La haine est la vraie passion primordiale. C'est l'amour qui est une situation anormale. C'est pour ça que le Christ a été tué, il parlait contre nature". Umberto Eco met sa plume et son érudition au service de la noirceur des âmes. Son Cimetière de Prague est un livre de fureur et de haine, sous l'apparence d'un agréable diverstissement...Lorsque la fascination du mal flirte avec le monde des idées, la littérature se vend et l'homme se perd.
>Umberto Eco, Le cimetière de Prague, Grasset
Le Prix Castel 2024 est décerné à Grégoire Bouillier pour s
Le Prix de Flore 2024 a été décerné au premier tour, à l’unanimité moins une voix, au premier
La 42e édition de la Foire du livre de Brive vient de se terminer.