André Gide jugeait que l'écrivain André Malraux était avant tout un aventurier. Il n'aura de cesse de faire correspondre sa carrière d'écrivain et son image d'aventurier. Brosser le portrait de ce voyageur infatigable, c'est parler de son oeuvre multiple jonglant perpétuellement entre réalité et fiction. Dans "La Voie Royale", l'écrivain souligne "Tout aventurier est né d'un mythomane." Comme André Citroën le notait dans un récit qu'il publia après la première Croisière Citroën, le voyage implique de "vivre réellement un passionnant roman d'aventures à une époque où la littérature en crée tant d'imaginaires."
Le voyage est appréhendé d'abord chez Malraux comme action. Il permet de se sentir présent au monde et de donner un sens à un instant donné à l'existence. Lacouture souligne que pour Malraux l'action est dénonciation de l'absurde et du néant. Malraux exigera de l'action qu'elle soit "un divertissement supérieur", puis un refus de mort mais encore "une harmonie, une réconciliation avec lui-même. Pourtant, note Lacouture "l'action ne lui donne jamais ce qu'il prétend en attendre".
Il y a chez Malraux un mal être, une fêlure, une impatience aussi, que les voyages comblent la plupart du temps. Malraux est en quête d'un absolu à travers une action qui ne peut le lui donner. Là est l'impossible recherche de l'homme aventurier et écrivain.
Le rôle de Clara Malraux, la compagne des premiers voyages
Comme aventurier, on peut dire qu'André Malraux ne serait pas parti dans les mêmes entreprises sans sa première épouse Clara. Tous deux jeunes sont ruinés. La solution: partir à la conquête du monde. Malraux note Lacouture rétorque à Clara, "vous ne croyez tout de même pas que je vais travailler". Les voyages forment la jeunesse.Ils partent à Angkor. Ainsi commence l'aventure indochinoise des Malraux que Lacouture décrit comme "un mélange de conférences pour l'Ecole du Louvre, de propos de bistrot, de pari stupide et de coup monté." Un temple délaissé recelant de merveilles. Le couple obtient une mission et la confirmation qu'il faudrait informer les autorités des résultats des travaux sur place. L'Aventure à l'époque où ce mot était encore revêtu d'un prestige fabuleux.
L'Aventure
Comme dans "La Voie Royale" le couple Malraux pour ce voyage en Indochine est flanqué d'un guide appelé Xa , qui, comme dans le roman est tenu pour un voleur. De la réalité au livre, il n'y a qu'un pas. Une fois encore fiction et action se mêlent pour ne former qu'une seule matière. Les propos de Lacouture ne manquent pas de faire sourire car ils ont quelque chose des aventures de Tintin. Les voilà " casqués et vêtus de toile écrue, bardés d'appareils de photos et de bouteilles, ils enfourchent de petits chevaux, si petits que les pieds d'André touchent terre".
Après trente deux heures de route et six heures de marche, se frayant des passages au coupe coupe, le couple touche enfin au but. Lacouture reprend à ce sujet les propos saisissants de Clara Malraux: "Au fond, écroulé en partie mais dressant néanmoins sur les deux côtés des murailles encore affirmées, un temple rose, orné, paré.(...) Merveille que nous étions sans doute les premiers à regarder ainsi, suffoqués par la grâce de sa dignité, (...) plus émouvant en tout cas dans son abandon que tous les Angkor polis et ratissés. Et puis, l'appât du gain, le vol des statues. Des erreurs de jeunesse à une époque qu'il faut replacer dans un certain contexte ...
Dans le couple ,l'un comme l'autre était habité par le voyage,inspirant aussi bien la fuite vers l'ailleurs qu'un mouvement d'espoir. Lacouture parle d'ailleurs à propos des périples de Malraux d'"un certain voyage où l'on recherche et où l'on découvre des formes, des pierres et des hommes. On décidait de partir, on partait, sans trop savoir comment et où on aboutirait". C'est bien là l'aventure.
Les voyages se succéderont et la plupart du temps grâce à des amis, et notamment à Gaston Gallimard. Malraux part ainsi en 1931 afin de rapporter les éléments d'une exposition dont il rêvait depuis longtemps, mariant les civilisations grecque et bouddhique.
Un grand amoureux et connaisseur des arts
Malraux a étudié et
assimilé tous les grands critiques d'art ayant fait autorité depuis le
début du XXème siècle. Emile Mâle, Elie Faure, Heinrich Wöllflin, Henri
Focillon, Bernard Berenson, Vasari et Félibien et côtoyé de grands
marchands et collectionneurs parmi lesquels Vollard et Kahnweiler.
Ses
goûts artistiques témoignent de ses nombreux périples autour du monde. Le voyage est bien au coeur de son oeuvre et de sa vie.
Aussi, les fétiches d'Afrique et d' Océanie font des yeux doux aux
tableaux modernes. Mais, plus que tout, on trouve chez Malraux une
continuité assez fascinante entre le créateur et l'amateur. Les oeuvres
possédées par Malraux hantent la plupart de ses textes. Prenons les poupées Hopi disposées sur la tablette d'un radiateur de la
grande pièce de la maison de Boulogne; elles sont décrites dans La Tête
d'Obsidienne comme "divinités du farfelu, vaguement apparentées aux
managers de Parade, maisons sur la tête (les leurs sont des nuages) et
costumes de papillons géométriques".
A l'occasion de la parution dans la Bibliothèque de la Pléiade des Ecrits sur l'Art de Malraux, Jean Yves Tadié, directeur du tome I de cette édition notait: "Si nous devions emporter en un volume tout l’art du monde, ses œuvres et sa signification, quel livre choisir, sinon celui-ci ? Un homme y a condensé quarante ans de vie au milieu des chefs-d’œuvre des cinq continents, de lectures, de réflexion au contact des plus grands. Non pour les raconter, les critiquer ; mais pour les faire vivre et nous les faire aimer."
Les livres comme témoignages de l'aventure
Malraux vu par un autre aventurier Joseph Kessel
L'autre aventurier Joseph Kessel a fait un portrait très intéressant de Malraux. Il parle notamment de sa "rapidité d'action et de touche", de ses "personnages incisés à vif" ou encore de "la galerie de démons et d'apôtres de la Chine révolutionnaire, par où Malraux révéla son étrange génie."
Sur "La Condition Humaine", Kessel souligne encore "Shanghai... son fleuve... le labyrinthe chinois et les concessions européennes... le mélange des races et des appétits de l'univers entier...le creuset fumeux, fièvreux, fangeux, sanglant d'un nouveau monde...les révoltes qui grondent et qu'on étouffe...l'éternité chinoise heurtée aux fanatiques de Moscou...Un ciel jaune, des foules jaunes, une épouvante jaune. Voilà ce que brasse André Malraux dans son livre d'une densité et d'une acuité qui font mal, qui font peur."
Plus loin Kessel note: "L'homme qui a écrit "La Condition Humaine" a vécu ces insurrections, ces conciliabules secrets, tumultueux et lourds, ces massacres à froid, ces tortures barbares. Il a connu les désespérés, les rebelles, les bourreaux, les victimes, les obsédés, les fantoches et les fantômes que son livre restitue avec un frémissement tenace et sauvage."
Malraux, l'Inclassable
En 1974, André Malraux reçoit le grand écrivain voyageur britannique Bruce Chatwin à Verrières le Buisson chez Louise de Wilmorin. Ce dernier a fait un portrait de l'aventurier écrivain assez original dans son livre "Qu'est-ce que je fais là?: "Malraux est seul. Il ne peut pas avoir de disciples. Il ne s'est jamais permis le luxe d'une croyance politique ou religieuse définitive, et il est trop remuant pour accepter la discipline de la vie universitaire. Il est inclassable, ce qui dans un monde de -ismes et de -logies est également impardonnable."
Dans le post-scriptum de sa biographie de Malraux, Lacouture parle avec émotion de "cette part d'aventure, de féerie, de songes qu'il aura incarnée tout au long de sa vie avec une sorte de naïveté épique, et sans laquelle l'histoire des hommes risque de n'être qu'un prosaïque défilé de piétons, la silencieuse déglutition des ordinateurs, le temps des bureaux implacables."
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