Eric Val-Harboit membre de la communauté Viabooks nous livre sa critique de La carte et le Territoire, le nouveau roman de Michel Houellebecq. Il tient à en souligner les complexités et les ambivalences et revient sur les doubles visages de "Dr Houellebecq et Mr Martin".
Sous La Carte et Le territoire, la critique. En effet, Michel Houellebcq se livre à une critique des tics de notre société des années 2000, entreprise dont il est familier. Bobos politiquement corrects préparez vos indignations, vous êtes dans la cible et vous le saviez , l’auteur de Plateforme ne nous décevra jamais de ce côté-là.
Plus précisément, Houellebecq livre une vision quelque peu cynique du fonctionnement du milieu de l’art contemporain et de l’émergence contrôlée des œuvres et des artistes. Il y a une part de vrai dans la description de ce microcosme, mais là n’est pas l’essentiel. On sourira évidement de voir que la terrible Josiane du quotidien du soir devient une toute aussi ancillairement nommée Pepita (pour mémoire la bonne de Marylin Monroe s’appelait Lena Pepitone). D’ailleurs Pépita déteste Marylin et son galeriste et son artiste, n’y voyons aucune analogie avec le milieu de la littérature, et ne nous esclaffons pas non plus de voir « Le Monde »un peu moqué. Coup de griffe à une nation qui a abdiqué tout prestige et qui vend ses restes, constat amer sur l’ensauvagement de ses banlieues, regrets sur la direction désenchantée qu’a adoptée notre société : de la simple matière première houellebecquienne (pour une fois quasi -asexuée), là ne réside pas non plus la singularité de l œuvre.
Dans une de ses conversations avec un romancier qui nous est familier, Jed Martin qui est le personnage principal de l’œuvre, évoque le roman, le great occidental novel, pour y rappeler la place centrale de l’être humain Ce qu’il n’a pas besoin de nous rappeler est qu’une forme structurelle à peu près fixe du roman s’ est imposée, sur un mode plus ou moins conscient, qui fait du personnage principal un sujet soumis à une évolutions, fréquemment à une épreuve initiatique qui le transforme et nous entraîne avec lui dans un parcours imaginaire qui touche à dessein quelques cordes préétablies du psychisme universel. Et lorsqu’un héros romanesque échappe à cette transformation, il devient une singularité littéraire, ainsi en est il du Fabrice del Dongo de Stendhal. La coquetterie de certains auteurs leur fera avouer avec délice que « leur personnage leur a échappé » ou qu il a pris une «autonomie imprévue» etc. mais l’auteur reste aux commandes, sinon toujours distinct, en tout cas comme un montreur de marionnettes dont on ne voit jamais le visage.
Rien de tel dans La carte et le territoire. Jed Martin ne change pas d’un iota durant son parcours terrestre que ce roman décrit. Assez asocial, indifférent aux honneurs, à l’argent et aux apparences, tourné vers l’introspection et subissant l’existence sans désirer y tracer un chemin précis, il meurt comme il a vécu, en interaction faible avec le reste de l’humanité dont il peut écouter les regrets concernant la marche du monde, sans idéal précis et sans ambition affichée même si son époque a décidé à sa place , pour lui qui reste immobile, une place majeure dans sa mémoire collective. Certes, une rencontre singulière survient, qui fait intervenir l’auteur même du livre, Houellebecq devenant un personnage qui va influencer, mais seulement à la marge, le destin du héros. En utilisant cet artifice, Michel Houellebecq révolutionne le principe même du roman : il rend le personnage-axe du récit immobile et non évolutif, et en devient lui-même un sujet soumis à une transformation. Et quelle transformation !
Tiré de son aboulie irlandaise, ramené à la vie, puis empoisonné symboliquement par un don que lui impose son personnage, exécuté ensuite (en compagnie de son chien, s’entend !) et littéralement atomisé dans un martyre extatique (et qu’il n’est pas loin d imaginer souhaité par ses ennemis), sa mort devenant enfin le mystère et l’intérêt narratif de la dernière partie du livre qu’il continue d’écrire.
Il ne reste plus alors, pour la première fois dans l’histoire de la littérature, qu’un personnage imaginaire sans désir particulier, cause indirecte mais incontestable de la disparition de son créateur, lequel continue néanmoins à rédiger sa propre et peu complaisante biographie post mortem. En cela, et au delà des inévitables jeux de miroir qu’un tel récit comporte, « La carte et le territoire » propose un intérêt littéraire basé sur l’inversion sans précédent des liens et destins de l’écrivain et de sa créature.
L’inversion des valeurs, toute l’œuvre désabusée du fin sémiologue qu’est Houellebecq ne parle que de cela, qui établit une cartographie impitoyable des aberrations que sécrète notre société hexagonale post moderne : entre autres paradoxes, préférer la carte au territoire est par exemple une disposition naturelle de la pensée marxiste qui imprègne les administrations de notre temps, mais aussi, dans le récit qui nous intéresse, le slogan hystérique d’un groupe capitaliste pour justifier sa nouvelle communication.
Y a-t-il lieu de se demander si l’étrangeté finalement un peu déroutante que nous propose l’auteur des Particules élémentaires, qui recourt à une inversion radicale de l’esprit du roman, vaut-elle mode « démonstratoire » dans la dénonciation des étrangetés intellectuelles dont il se moque sans relâche? Ou doit-on l’entendre aussi, paraphrasant Flaubert, et alors qu’il a disposé le leurre de son propre personnage, dire : « Jed Martin-qui subit la gloire et qui décrit du monde sa face veule et sans idéal, c’est moi » ?
Michel Houellebecq, La carte et le Territoire, Flammarion
Michel Houellebecq, Plateforme, Flammarion
Michel Houellebecq, Les Particules élémentaires, Flammarion
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