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Houellebecq : les coulisses du Goncourt 2010

Le Goncourt, enfin. Comme le remarquait récemment Michel Houellebecq dans une interview, « On n’est pas à l’abri d’un succès ». De fait, l'auteur est couronné pour son livre La Carte et le Territoire. Retour sur les dessous d’une récompense qui arrive après bien des péripéties.

Le plus grand des luxes est probablement de recevoir un prix quand on n’en a plus besoin. Michel Houellebecq en recevant le Prix Goncourt  se transforme d'enfant terrible politiquement incorrect en écrivain honorablement reconnu. Mais il ne change pas sa trajectoire, puisqu’il est déjà mondialement célèbre et que La carte et le territoire s'est déjà vendu à 150 000 exemplaires est en train de voguer vers un succès sans conteste.

 Chronique d'une victoire annoncée

Il régnait en ce jour du 8 Novembre 2010 chez Drouant une de ces atmosphères un peu historiques, puisque chacun presque savait quelle serait l'issue du vote, tout en laissant planer le suspense. La pluie automnale n'était pas sans rappeler l'Irlande d'adoption de notre favori. Finalement, c'est au premier tour par 7 voix contre 2 à Virginie Despentes que le Goncourt a été décerné à Michel Houellebecq. Une victoire sans partage."Enfin", entendit-on." Il était temps"... Il y avait une affluence des grands jours, ça se bousculait chez Drouant. Les serveurs se dépêchèrent même de retirer les tableaux des murs par crainte des bousculades. Cela faisait longtemps qu'un écrivain n'avait pas déchaîné autant les foules!

L'assemblée  de professionnels et de fans qui se massait chez Drouant paraissait soulagée, car refuser l'évidence eût sonné comme le désaveu d'un prix, dont le voeu de chacun était qu'il restât emblématique...Quant à Michel Houellebecq, il arriva en taxi, habillé de sa traditionnelle parka et d'une chemise bleu ciel, de la même couleur que ses yeux, unique concession  aux contraintes d'un look télégénique indiquées probablement par son éditeur. Tel un Droopy des temps modernes, il annonça : " C'est une sensation bizarre, mais je suis profondément heureux". Ce qu'un léger sourire sembla confirmer. Oui, ce prix, il l'avait en réalité voulu.

 Le jeu des rendez-vous manqués

Il n’est pas si loin où les jurés du Goncourt avaient à chaque fois manqué le rendez vous avec le célèbre écrivain. On se souvient qu’en 1998, Les Particules élémentaires  avaient été écartées de la célèbre récompense ( au profit de Paule Constant pour "Confidences pour Confidences"), tout comme en 2001 où le contexte politique du 11 Septembre avait réduit à néant les espoirs de récompense pour Plateforme. Mais, c'est en 2005, avec La Possibilité d'une île que l'échec de Michel Houellebecq prit une tournure plus amère, puisque son livre avait été coiffé au poteau à une voix près, au profit de Trois jours chez ma mère de François Weyergans. Il faut dire que Didier Decoin le secrétaire de l'Académie s’était alors personnellement et fermement opposé à récompenser un auteur qu'il jugeait trop sulfureux. Entre temps, Michel Houellebecq ne s’était pas seulement expatrié en Irlande, il était aussi devenu l’écrivain français contemporain le plus célèbre du monde.

L'année de tous les bons augures

Cette année, pour la première fois tous les augures annonçaient une atmosphère concordante. La série des précédents rendez-vous manqués allait-elle faite suite aux déceptions passées comme une sorte de réparation de préjudice? Les lecteurs n’aiment rien mieux que les perdants, et le succès de Houellebecq s’est d’autant plus imposé que l’establishment semblait le dédaigner. Le propos s'était presque inversé. Il revenait presque à l’establishment de retrouver de la crédibilité en lui accordant enfin cette reconnaissance tant méritée.

 Une campagne exemplaire

Et de plus, cette fois-ci l’éditeur Flammarion était bien décidé à en découdre.Teresa Cremisi, la PDG, anciennement directrice éditoriale chez Gallimard en avait fait un combat de principe, d'autant que ce serait la première fois depuis 30 ans que le plus prestigieux des prix français reviendrait à un livre édité chez Flammarion. Dès le mois de Juin la campagne fut menée de façon exemplaire. Un peu de buzz comme il faut avec distillation de quelques informations choisies, une mobilisation de la blogosphère en proposant aux internautes d’écrire l’incipit du livre et quelques petites incursions amies, comme la préface écrite par Michel Houellebecq dans l’édition de poche de Frédéric Beigbeder, en signe de bonne volonté vis-à-vis de ses condisciples… le parcours était sans faute. Même les quelques accrocs semblèrent faire partie du plan. Tahar Ben Jelloun afficha clairement son désaveu sur La carte dans  La Republicca…Las, il ne sembla pas rallier d’autres à sa cause et servit surtout de faire valoir à celui qu’il fustigeait : depuis quand Michel Houellebecq  était-il un écrivain consensuel ? Heureusement qu’il y avait un peu de contestation dans l’air !

Ne pas aimer, reconnaître

On se souvient aussi que Bernard Pivot dans un article du JDD donna le la en qualifiant La Carte et le Territoire d’œuvre majeure tout en avouant que malgré tout, il n’aimait pas le livre. Il ne pouvait pas agir en meilleur chef de campagne, car il libérait ainsi la conscience de tous les jurés, en leur susurrant :  « on ne vous demande pas d’aimer Michel Houellebecq , on vous demande juste de le reconnaître ». Pivot rallié à la cause, on pouvait espérer que la voie semblait ouverte. Edmonde Charles Roux écrivit aussi un article dans La Provence, avec un éloge discret, qui enfonçait le clou sans pour autant donner un mot d’ordre, qui aurait pu aboutir à l’effet inverse.

Un plagiat très opportun

Puis il y eu l’affaire du plagiat. Certains reprochèrent à Houellebecq d'avoir recopié certaines pages de Wikipédia, la célèbre encyclopédie en ligne. Probablement la plus belle opération de marketing involontaire. Elle permit à Michel Houellebecq de se retrouver au journal de 20h, de se justifier, d’apparaître comme une victime attaquée par quelques médiocres malfaisants. Car bien sûr, cette accusation retomba aussi vite qu’un soufflet, mais elle donna l’occasion à l’écrivain de se monter digne et pas trop arrogant, probablement coaché à la perfection par son éditeur, qui a très vite vu en cette anecdote une magnifique opportunité de mise en avant. Entre temps les lecteurs découvraient le livre... et quel livre !

 Houellebecq, avatar de l’écrivain ? 

 La Carte et le Territoire instaure en effet  une géographie universelle, qui décrit un monde dont l'abstraction de la représentation est devenue supérieure à la réalisation de la vie. Par le jeu des projections, la Carte devient une perfection qui vide le réel de sa puissance, annonçant par là les stratégies fatales d’un monde dans lequel le virtuel est devenu la norme. Après avoir dépouillé le corps de ses attributs émotionnels dans ses précédents ouvrages ou la pensée de ses sublimations, Houellebecq ne cherche ni à provoquer, ni à dénoncer, il constate que l’accumulation des « choses matérielles» a fini par construire un meilleur des mondes qui pose non plus la question de la conscience,  mais bien celle de la fin du sujet, donc de l’auteur.

Ici, la création devient une ruse sans issue. Seule peut-être la précision du beau-geste humble et répété permet d’inscrire la « possibilité dans un autre » réel. Science sans conscience n’est que ruine de l’âme :oeuvre sans sens ne serait-il que perte de soi ? Et la mort de l’écrivain le place t-il désormais comme avatar de lui-même ? La carte et le territoire est un livre, puissant, impérial, et l’œuvre de Michel Houellebecq est d’une richesse qui ne finit pas de tisser son univers, prenant les tours et détours d’une pensée et d’un monde singulièrement universels. Comme l’écrivit Bernard Pivot, à un certain moment la question n’est  plus de savoir si on aime ou pas tel texte, mais juste de reconnaître qu’on se trouve face à une œuvre majeure.

En savoir plus

Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, Flammarion

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