Le dernier roman de Michel Houellebecq vient de paraître. Son titre: La carte et le territoire est une énigme en soi. Jeux de miroirs pour un texte érudit qui dépasse le goût de la provocation chère à l'auteur. Un regard sombre sur une époque en crise mais aussi de beaux hommages à de très grands auteurs. Une réflexion sur la littérature tissée de correspondances avec les arts plastiques. Un roman porté par un nouveau souffle.
La Carte et Le Territoire est probablement le livre le plus attendu de cette rentrée littéraire. Son auteur, Michel Houellebecq, mauvais garçon des lettres françaises a en effet l'habitude de faire parler de lui. Il frappe encore mais cette fois-ci d'une manière plus raffinée. Le temps de la provocation semble s'être éloigné. Avec ce nouveau roman, il propose de nous entretenir de différents sujets pour regarder le monde contemporain. Jouant sans cesse entre réalité et fiction, Michel Houellebecq montre aussi qu'il sait s'amuser et nous fait sourire. La Carte et le Territoire nous propulse pourtant dans un monde sombre. Mais, l'ironie et l'autodérision sont peut être les seules manières de survivre. Autre changement, et de taille celui-ci, Michel Houellebecq apparaît, vit et disparaît au cours des quelques quatre cents vingt pages du récit.
Léger changement de registre, les variations houellebecquiennes ont dépassé les terres du tout sexuel pour souligner que ses romans sont d'abord expérimentaux. La Carte et le territoire est un roman à thèse. Il regarde notre monde avec déception. Le coeur du sujet ne se trouve pas uniquement là. La trame romanesque évolue très rapidement en conte philosophique de la même manière que certaines rues, ponctuant le récit, prennent allègrement des noms de philosophes.
Avec La Carte et le Territoire, Houellebecq
regarde le monde de l'art. Prétexte assez bien choisi pour souligner l'omniprésence de l'argent et la crise du sens dans nos sociétés. Le roman commence ainsi avec
la confrontation de deux figures ultra médiatisées de la scène contemporaine: Jeff Koons et Damien Hirst. Suivent plus loin dans le
texte Bill Gates et Steve Jobs ou les incarnations de la puissance
technologique et du pouvoir actuel. Houellebecq invite à penser le monde
dans son aspect le plus dérisoire et à la fois le plus médiatique. Il
ne craint pas l'accumulation de clichés, peignant par exemple Damien
Hirst et Jeff Koons sur fond de paysages du Qatar ou de Dubaï.
Le
domaine artistique a toujours intéressé Houellebecq. Les peintres sont
souvent présents dans ses récits. Dans La Carte et Le Territoire, le
romancier choisit un artiste comme personnage principal, le dénommé Jed
Martin. Photographiant des séries d'objets du quotidien, il a soudain
une révélation lorsqu'il entre en possession de différentes cartes
Michelin. Puis, s'attaquant à la peinture, il décide de représenter les
personnages importants du monde contemporain; autant dire, ceux qui font
rêver par l'argent qu'ils brassent. Porté par ce travail au bout du
compte assez commercial, il demande à Michel Houellebecq de préfacer le
catalogue de son exposition.
Dans La Carte et Le Territoire, Houellebecq se met en scène. Il accepte de recevoir un artiste qui souhaite de lui un texte sur son oeuvre. A travers sa présence, du monde de l'art, on passe au monde des lettres et un jeu de miroirs, une série de correspondances se mettent en place. Car ce dernier roman n'est pas seulement un roman sur l'art. Cette discipline permet à l'auteur de créer des ponts et de donner au texte une possibilité d'évoluer vers d'autres sphères.
Si dans Les Particules Elémentaires ou bien encore La Possibilité d'une Ile, le lecteur se confrontait à une écriture plate, prenant l'apparence de l'autobiographie, dans La Carte et le Territoire, Houellebecq donne un nouveau souffle à la phrase. La précision des détails est toujours intacte mais le rythme a changé. A plusieurs reprises, des descriptions éveillent la curiosité. Michel Houellbecq deviendrait-il romantique?
La Carte et le Territoire marque le lecteur de Houellebecq car il change de registre. Il prend de l'ampleur, ne nous rappelle pas sans cesse l'ennui qui le consume. L'écrivain tient les fils du roman, ouvre le champ des possibles. La troisième partie du roman prend des airs de roman policier. Houellebecq jongle avec les sujets, les personnalités comme avec les genres.
Les critiques de La Carte et Le Territoire ont souligné des échos aux textes de Georges Perec. Rappelons à quel point Perec s'intéressait à la peinture. Notre confrère Arnaud Viviant de L'Annuel des Idées montre que "L'hommage à Perec (...) est niché, mis en abyme" dans le texte de Houellebecq et ajoute "comment ne pas songer à ce que Perec disait de son roman qui avait pour but selon lui de "saisir, décrire, épuiser, non la totalité du monde -projet que son seul énoncé suffit à ruiner-mais un fragment constitué de celui)ci: face à l'inextricable incohérence du monde, il s'agira d'accomplir jusqu'au bout un programme, restreint sans doute, mais entier, intact, irréductible".
La carte est plus intéressante que le territoire est le titre de l'exposition de Jed Martin qui rassemble ses travaux réalisés à partir d'une trentaine d'agrandissements photographiques de cartes Michelin. La carte et le territoire ou l'image et la réalité du monde. L'auteur des Choses n'est toujours pas loin. Mais, ce qui change et qui ne parvient pas à donner la part d'universel des textes de Perec s'inscrit dans l'éclatement du roman de Houellebecq. Dans La Vie Mode d'Emploi, Perec se donne des contraintes très précises qui donnent au texte toute sa cohérence. En revanche Houellebecq, libère tout. Le sens du système entier se perd alors en une multitude de chemins.
Les conversations entre Jed Martin et Michel Houellebecq sont aussi un moyen pour ces personnages de faire dialoguer l'art et la littérature. Houellebecq, lorsqu'il évoque sa carrière romanesque souligne: "pour se lancer dans l'écriture d'un roman il faut attendre que tout cela devienne compact, irréfutable, il faut attendre l'apparition d'un authentique noyau de nécessité." Plus loin, il ajoute qu' "on ne décide jamais soi-même de l'écriture d'un livre (...) un livre, selon lui, c'était comme un bloc de béton qui se décide à prendre, et les possibilités d'action de l'auteur se limitaient au fait d'être là, et d'attendre, dans une inaction angoissante, que le processus démarre de lui même. Le principe créatif est ici regardé et étudié."
Lors du deuxième entretien avec Jed Martin chez Houellebecq, il est aussi question de livres avec la bibliothèque , où le roman curieusement ne tient pas une grande place."Marx, Proudhon, et Comte; mais aussi Fourier, Cabet, Saint Simon, Pierre Leroux, Owen, Carlyle. et le cas étonnant de Tocqueville et son chef d'oeuvre "De la démocratie en Amérique", "un livre d'une puissance visionnaire inouïe qui innove absolument, et dans tous les domaines, c'est sans doute le livre politique le plus intelligent jamais écrit." La Carte et Le Territoire propose bel et bien un vaste champ de possibilités.
Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, Flammarion
Michel Houellebecq, La carte et le territoire, Flammarion
Michel Houellebecq, La Possibilité d'une Ile, Fayard.
Michel Houellebecq, Les Particules Elémentaires, Flammarion.
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