Dans La première fois qu'Aurélien vit Bérénice (Armand Colin), Daniel Bergez remonte la carte du Tendre -et du temps- du répertoire amoureux. Du Cantique des Cantiques à Virginie Despentes, il raconte 25 siècles de rencontres et dissèque leur ressort. Un livre d'analyse littéraire autant qu'une source d'inspiration pour la compréhension du sentiment amoureux. Instructif.
S'il est un thème universel en littérature, théâtre ou poésie, c'est bien celui de l'amour. Amour-désir, amour-passion, amour-destruction... Toutes les figures du sentiment amoureux ne cessent d'être explorées par les écrivains de siècle en siècle.
Daniel Bergez, professeur de lettres qui a enseigné en classe de Khâgne au lycée Henri IV et auteur de nombreux ouvrages, connaît son anthologie littéraire comme sa poche. Dans son dernier livre La première fois qu'Aurélien vit Bérénice (Armand Colin), il remonte la carte du Tendre -et du temps- du répertoire amoureux. Du Cantique des Cantiques, un des textes les plus enflammés dédiés à l'amour, à Virginie Despentes qui aborde les impasses des désirs contrariés, Daniel Bergez raconte 25 siècles de rencontres amoureuses et dissèque leur ressort.
Car l'amour est autant une quête qu'un jeu, une louange qu'une souffrance. Les plus belles pages sont souvent celles qui explorent l'ombre du sentiment amoureux. Ou bien les ambivalences du désir. Le titre du livre de Daniel Bergez est d'ailleurs emprunté à un passage d'Aurélien de Louis Aragon : «La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Elle lui déplut, enfin.» Elle lui déplut, et pourtant c'est pour elle que le héros du livre, Aurélien, va brûler d'amour quelques pages plus loin. Paradoxe des attractions, jamais attendues, ambivalence des sentiments, toujours improbables.
C'est à une promenade que nous convie Daniel Bergez, un embarquement pour Cythère, dont l'issue joue des scènes toujours singulières. Et contradictoires.
Comme nous le montre cet extrait d'un poème de Catulle :
J'aime. Je hais. Comment est-ce possible ?
Je ne sais. Je le sens, et c'est une torture
(Poésies, poème 85).
L'auteur analyse les plaintes de Didon au départ d’Enée, la passion de Tristan et Iseult, l’aveu de Phèdre à Hippolyte dans la pièce éponyme de Jean Racine, l’amour de Julien Sorel pour Madame de Rênal dans Le Rouge et le Noir de Stendhal, l'adoration de Frédéric Moreau pour Madame Arnoux dans L’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert, ou encore l'amour absolu d'Ariane et Solal dans Belle du Seigneur d'Albert Cohen. Il dissèque les évocations sentimentales de Gérard de Nerval, de Paul Verlaine, de Marcel Proust, de Guillaume Apollinaire ou d'Aragon.
Quand les écrivains et les poètes écrivent sur l'amour, ils le regardent en miroir d'eux-mêmes. Et ce miroir reflète aussi leur époque. L'amour est probablement l'émotion la plus universelle et la plus sociale. Comme le constate Daniel Bergez :
«Dans son rapport au désir, l’écriture passe par des motifs narratifs, dont on peut voir les évolutions et permanences historiques : le coup de foudre, le trouble, le jeu du regard, le rapport entre Eros et Thanatos…»
Dans les passages évoqués, il y a des extases, des frayeurs, des effusions, des déceptions, des désespoirs. Il y a des rêveries et des retours brutaux au réel. L'amour prend toutes les couleurs et occupe tous les espaces. Il reflète les époques et les cultures. Ces scènes amoureuses de la littérature ne sont pas de simples histoires. Elles renvoient à la genèse de nos propres désirs et à l'imaginaire qui les nourrit.
>Daniel Bergez, La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, Armand Colin, 224 pages, 19,90 euros
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