Dominique Barbéris vient de recevoir le Grand prix du roman de l'Académie Française pour son livre Une façon d’aimer (Gallimard). Une fiction qui raconte une histoire d'amour sans issue, sur fond d'atmosphère coloniale à Douala, au Cameroun, dans les années cinquante. Un texte délicat, plein de grâce, comme son autrice. Rencontre.
Il y a des destins qui brûlent, alors que la vie semble toute tracée. Il y a des lieux qui consument ceux qui les traversent, alors que leur décor semble inaltérable. Et des histoires qui durent le temps d'un bal. Une façon d'aimer de Dominique Barbéris, qui vient d'être couronné par le Grand Prix de l'Académie Française, est un roman sur le désir.
Le récit raconte l'histoire de Madeleine, une femme des années cinquante, née en Bretagne, qui va suivre son mari nommé au Cameroun, encore colonie française. Elle est aussi discrète, que son expatriation est audacieuse. Elle découvre un autre monde, qui lui révèle un autre elle-même. Au passage, elle va s'éprendre d'un administrateur. Bel homme un peu mystérieux, libre, de ces personnages qui traînent alors en Afrique, en quête d'aventures et d'émotions fortes. Aimer, dans l'ombre, rêver d'un peut-être sans oser le dire... Bientôt les sirènes de la décolonisation vont retentir, entraînant le départ de l'héroïne et la fin de son impossible attraction.
Dominique Barbéris est née à Douala, mais n'en a guère de souvenirs, puisqu'elle en est partie à un an et demi. Pourtant, Une façon d’aimer, qui est son livre le plus personnel, est ancré dans un réel puissant, reconstitué, comme s'il avait laissé en elle une empreinte indélébile. Il dresse un émouvant portrait de femme, tout en dépeignant une époque révolue.
Nous rencontrons Dominique Barbéris dans les salons de l'Académie Française, juste après l'annonce de son prix. Presque frêle dans sa robe bleu marine, elle sourit. Elle se saisit d'un verre de champagne. L'heure est à la joie. On l'imagine entamer un pas de danse, faire tourner sa tenue de patineuse. Le visage de sa mère se superpose au sien. Nous voilà transportés dans le salon de la Délégation française à Douala... Interview.
Légende : Dominique Barbéris pose à côté d'Amin Maalouf, dans la cour de l'Institut de France.
Photo : Académie Française.
- Dominique Barbéris : Je suis émue et très honorée. Les autres livres méritaient aussi d'avoir le prix. C'est le jeu, mais je tiens à féliciter mes deux compétiteurs.
Me tenir ici à l'Académie est doublement émouvant. D'abord, j'ai enseigné pendant près de quarante ans à la Sorbonne dans une UFR dédiée à la langue française. C'est un lien de parenté en quelque sorte ! Ensuite, et surtout, ce livre a une importance particulière pour moi. Il est dédié à la mémoire de mon père, qui est parti dans l'Administration au Cameroun à Douala dans les année 50.
-D. B. : J'ai voulu dépeindre cette époque de l'Après-guerre. Raconter l'histoire d'un homme qui a eu l'audace de partir à Douala au Cameroun. Ainsi que celle d'une femme qui a osé quitter son environnement familier pour le suivre. Après l'installation de mes parents, je suis née à Douala. Mais la décolonisation arrivant, mes parents sont repartis. Mon père est mort, mais ma mère est encore en vie. Elle m'a dit : « Merci, grâce à toi, je suis retournée à Douala. » J'ai compris que j'avais accompli quelque chose d'important, pour elle, comme pour moi. Ces souvenirs marquent à jamais. J'étais trop petite pour qu'ils soient inscrits dans ma propre mémoire. Mais je savais que cette période avait été déterminante pour ma famille. Et pour tous ceux qui y avaient participé. Il faut se représenter le long voyage en bateau, cette traversée vers l'Afrique qui prenait une quinzaine de jours. Il faut imaginer la chaleur de plus en plus intense. Il se produisait des rencontres improbables, des partages de circonstance. Tous les repères étaient bousculés...
-D. B. : Mon propos n'était pas de parler de la colonisation, mais de montrer que, dans ce contexte, il y avait des expatriés qui étaient des petits blancs, des gens qui avaient des vies relativement modestes. Mon père avait passé un concours, car il pensait que sa carrière évoluerait mieux, s'il partait dans une colonie. Et puis il y a eu le temps des évènements difficiles, des attentats, des couvre-feu. Les choses ont vite basculé. Comme les héros de mon livre, mes parents sont repartis un peu du jour au lendemain. Et, ne sont jamais revenus.
-D. B. : J'ai hésité. Mais, je n'ai finalement pas voulu me rendre à Douala, avant d'écrire le livre. Plus rien ne subsiste de cette époque passée. A quoi cela aurait-il servi ?
-D. B. : Cette époque était pudique. Les femmes possédaient beaucoup de retenue, des principes. Cela ne les empêchaient pas d'éprouver de grandes passions. J'ai revisité le triangle amoureux, imaginant une passion parallèle au mariage, avec sa lenteur, son désir, entre séduction et secret. Le sentiment amoureux peut prendre tellement de formes et d'expressions.... Les lecteurs ne s'y trompent pas. Je constate avec émotion, que beaucoup d'entre eux, m'écrivent pour me dire qu'ils ont été bouleversés par cette histoire. Ils y reconnaissent bien les stigmates de l'amour. Même s'il s'agit d'une façon d'aimer singulière.
-D. B. : J'aime beaucoup l'idée des possibles qui ne se réalisent pas. Ici, il y a des regards, un bal, une promenade, des effleurements... Cela aurait pu être. Mais, même si cela ne s'est pas accompli, cela a existé. Il s'agit de sublimation. De renoncement. D'empreinte intérieure. Cela me fait penser au magnifique film de David Lean : Une brève rencontre.
-D. B. : Je publie depuis près de trente ans, et finalement, quand je regarde leur thématique, beaucoup de mes livres tournent autour du secret, du silence, - ici, celui d'une femme dont la vie a passé sans que jamais elle se confie. Autour de paysages aussi.
En pensant à mes parents, il me semblait important de mettre en scène aussi les regrets, les arrachements de tous ordres : qu'il s'agisse d'une histoire sans issue, ou d'un retour forcé. Ce Douala du passé a toujours existé dans la mémoire de mes parents.
Ecrire, c'est aussi vivre en imagination. Il me fallait ici imaginer beaucoup de choses, pour faire revivre une époque. Incarner, ce passé disparu. Et finalement, imaginer mon enfance là-bas. C'est pourquoi il m'a fallu l'écrire.
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