Après le très remarqué et visionnaire Etat de nature, Jean-Baptiste de Froment livre dans Boudroulboudour un roman fantaisiste et rythmé, qui exhume la figure du traducteur des Mille et une nuits, Antoine Galland, et l’épouse d’Aladin. Cette sotie aux couleurs des Lumières fait la part belle à la liberté de pensée. Une réflexion vivante sur l’orientalisme en forme de pied de nez au woke.
Antoine Galland, universitaire pataud, est spécialiste du traducteur des Mille et une nuits. Il est aussi son homonyme. En pleine remise crise existentielle après son divorce de la délicate et exigeante Madeleine, Antoine Galland (le contemporain) part se ressourcer au « Kloub » d’Alexandrie. Il est flanqué de ses deux adorables petites filles. Princesses en herbe à l’ère de l’enfant-roi.
Dans son second roman, l’auteur de L’État de nature, consacre une comédie légère à un sujet grave : l’orientalisme ou la fascination des artistes et des universitaires occidentaux, notamment, pour un Orient rêvé. « Cet Orient (…) qui n’est pas une zone géographique mais une région du cœur… ». Les dramaturges antiques le savaient. Avant que les philosophes des Lumières ne le pratiquent, le rire et la comédie sont des armes lourdes contre le mensonge et l’hypocrisie. Il faut dire que les résonances de ce sujet tristement d’actualité avec la chute de Kaboul et de l’Afghanistan derrière elle, sont explosives.
Les mésaventures de son anti-héros, moins malhabile qu’il n’y paraît, prennent ainsi des allures de fable sur les ponts – les règlements de comptes et les vengeances – entre Orient et Occident. Pour renvoyer dans les cordes les partisans du woke - radicalisme bon teint, effacement colossal de la mémoire et du travail de l’historien réunis-, Jean-Baptiste de Froment dégaine une métaphore de longue portée.
« De toutes les lâchetés que l’on pouvait commettre dans la vie, il n’en était aucune qui fût plus vile, plus parfaitement lâche, que celle que l’on commettait envers le passé, envers l’esprit et la mémoire de ceux qui n’étaient plus là pour se défendre. Aux morts, il fallait faire le crédit du maximum ». Vérité à méditer.
La politique offre ainsi une dimension supplémentaire de la fable. Un jeune président aux allures giscardiennes récupère en effet la figure du génial traducteur pour tenter de rabibocher la majorité de ses concitoyens et leurs vindicatifs frères sarrazins. Il y a là matière. « Jusqu’au bout, Galland avait été fidèle à son projet originel de faire voir les Arabes aux Français, et non de se donner lui-même en spectacle ».
Son arme fatale ? Une révolution burlesque contre le néo-colonialisme et l’éternelle rengaine de la domination de l’homme blanc. Un règlement de comptes à peu de frais à l’image des polémiques en forme de pétard mouillé comme l’époque en produit avec une fébrilité gourmande.
« Avec Aladdin, les Français prenaient leur revanche sur tous les maux dont ils s’estimaient frappés. Aladdin, c’était l’ascension sociale fulgurante d’un vaurien devenu, par les vertus combinées de la chance et du mérite, plus puissant et valeureux que le sultan ». Un symbole identitaire à manier avec précaution, cependant. L’Histoire, pour peu que l’on fouille un peu, réserve toujours des surprises à ceux qui survolent leurs petites fiches. Pas de chance, c’est justement le métier d’Antoine Galland junior.
Dans son sillage, le romancier s’empare d’un fait historique pour broder ce conte moderne, aussi pétillant que provocant. Ni Aladin ou la Lampe merveilleuse, ni Sinbad le marin , ni Ali Baba et les Quarante voleurs ne font en effet partie des manuscrits originaux des Mille et Une Nuits. Ces contes figurent parmi les seize histoires qu’un marchand syrien, Hanna Dyâb, conta à Antoine Galland. Figure mythique que ressuscite encore cet amusant Badroulboudour.
Mais le conte ne serait rien sans l’amour et la sensualité. Le lyrisme au lourd parfum de loukoum et ses chausse-trapes. Comme Antoine Galland (le contemporain), l’auteur croit à la magie. Celle des djinns et des génies dans les lampes. De l’éternel féminin qui se matérialisme dans votre bungalow du « Kloub ». De la passion qui ressurgit de ses cendres. Traquer la Jérusalem Céleste dans un club de vacances pour cadres sup’ essorés n’est qu’une animation comme une autre, après tout ! Un jeu risqué qui ne va pas sans surprise. Pour peu que l’on s’y laisse prendre.
Enfant, le jeune Antoine a déjà l’imagination fertile. « De cette époque aussi, sans doute, remontait l’image formidable, excessive, qu’il s’était forgée de la femme, comme d’une montagne à escalader, faite de gorges et d’abîmes profonds, de vallées immenses et douces, mais glissantes, de cascades de cheveux ondulés, dans lesquels on pouvait s’enfouir, au risque de se perdre ». Parvenu à l’âge adulte, il sait repérer les signes du destin lorsqu’il lui fait un gros clin d’œil. Il n’a visiblement rien perdu de son âme d’enfant. Il sait faire de naïveté, vertu.
« L’imagination véritable, féminine [pourquoi !? Hanna ne vaut-il pas la Schéhérazade de papier ?], prenait le réel à bras le corps. Elle était la seule puissance capable de nous faire sortir de briser le déterminisme, capable de nous faire sortir de la guerre de tous contre tous. Elle seule savait nous faire planer au-dessus de nous-mêmes, vers les vastes paysages, et l’amour des autres ».
L’Orient est décidément une belle, joyeuse et précieuse source d’inspiration.
>Badroulboudour, de Jean-Baptiste de Froment, Aux forges de vulcain, 211 pages, 18 euros
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