Vivian Maier (1926-2009) est devenue en quelques années une légende. L'écrivaine Gaëlle Josse fascinée par la vie de la photographe franco-américaine lui a consacré une biographie : Une femme en contre-jour. Alors qu'une exposition majeure retraçant le parcours de Vivian Maier vient d'ouvrir ses portes au Musée du Luxembourg, Gaëlle Josse, qui a corédigé le Journal de cette exposition avec la commissaire Anne Morin, partage ses impressions pendant la visite. Deux regards face à face : celui, posthume, de la photographe sur le monde et celui, actuel, de l'écrivaine qui regarde les clichés. Jeu de miroirs et mise en abyme entre deux narrations qui se répondent, l'une en images, l'autre par les mots. Une rencontre.
Ce sont des mains qui s'échappent, des corps saisis dans un instant d'abandon, des visages qui regardent fièrement un objectif sans les voir. Parfois de légers accidents du réel sanctuarisés par un cliché en suspension. Ce sont aussi des cadrages graphiques qui enserrent la ville pour mieux la révéler. Des accumulations. Des répétitions. Et puis des détails fantômes. Des fragments qui racontent une histoire. Les photographies de Vivian Maier (1926-2009) sont reconnaissables entre toutes. La photographe franco-américaine est devenue en quelques années une légende.
Son histoire ressemble à un roman : une obscure gouvernante prenant des photos de rue à New York ou Chicago, jamais montrées de son vivant, qui connaît une gloire posthume après la vente fortuite d'une valise de négatifs à un jeune agent immobilier. L'écrivaine Gaëlle Josse ne s'y est pas trompée, qui lui a consacré une biographie : Une femme en contre-jour, pour tenter de percer son mystère. Car il y a bien un mystère Vivian Maier. Pourquoi cette volonté de l'ombre, alors que toute sa vie a été consacrée à traquer la lumière des autres et du monde ? Pourquoi s'effacer et cacher une œuvre aussi monumentale ? Entre 2003 et 2006, Chris Houkal, un de ses anciens voisins d'Eastlake Terrace à Chicago, la voyait passer quotidiennement, toujours habillée en noir et blanc, affublée de son éternel chapeau. Il raconte qu'elle semblait vouloir rester seule et qu'elle aurait, selon lui, détesté être « découverte » par le monde entier. Pourtant, les milliers de clichés témoignent d'une construction, d'un regard en perspective qui semblent dire le contraire.
Une remarquable exposition consacrée à l'oeuvre photographique et cinématographique de Vivian Maier, la première de cette envergure en Europe, vient d'ouvrir ses portes au Musée du Luxembourg. Comme le dit sa commissaire Anne Morin, qui s'est plongé dans ce projet depuis plus de dix ans, il était temps de montrer le travail de la photographe, pour ce qu'il est et non pas juste à cause de l'histoire de son auteure. « Vivian Maier se situe à la jonction de la photo de rue américaine et de l'humanisme à la française. » Un double ancrage qu'Anne Morin voulait honorer, car, selon elle, nous n'avons pas fini de prendre la mesure de la richesse du travail de la photographe : « Plus on se plonge dans l'oeuvre, plus elle s'enrichit, comme une arborescence infinie. » Le parcours du Musée embrasse une large thématique : « J'ai imaginé cette exposition comme un travelling photographique. Du général au narratif, on va vers les détails, la découverte de la couleur, le cinéma, puis vers une simplification des compositions. » poursuit Anne Morin.
Comment entre-t-on en résonance avec une œuvre ? Pourquoi plonger en elle pleinement et presque obsessionellement ? Gaëlle Josse a été fascinée dès qu'elle a vu les premiers clichés. « J'ai tout de suite été happée par les photos de Vivian Maier. Ces visages m'ont habité, ont résonné avec mes propres ressentis. J'ai été frappée par la puissance du regard et son humanité, sa liberté. »
Il nous a semblé naturel de confronter Gaëlle Josse, qui a aussi co-rédigé le Journal de l'exposition avec l'accrochage des photos. De poser un vis à vis entre deux regards. Celui de la photographe sur le monde et celui de la biographe-poète devant les photos. Jeu de miroirs et mise en abyme entre deux narrations qui se répondent, l'une en images, l'autre par les mots.
Vivian Maier, Sans lieu, 1955, tirage argentique, 2014,© Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY
Le regard de Gaëlle Josse : Quelle image Vivian Maier avait d'elle-même ? Elle se cache en se montrant, se montre en se cachant, sans aucune complaisanc envers sa propre image qui semble parfois comme un matériau d'étude. Elle a passé sa vie à se photographier en morceaux, à travers des jeux de miroirs et des dispositifs complexes de mises en abyme. C'est évidemment quelque chose qui interroge. Que cherche-t-elle à comprendre d'elle-même en se photographiant ainsi par fragments ?
Vivian Maier, Chicago, 1960 tirage argentique, 2020 © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY
Le regard de Gaëlle Josse : Vivian Maier photographie souvent les détails du corps : les mains, les pieds, la nuque... Le détail qui raconte une histoire, une vie, qui parle d'un destin anomyme, pris au vol dans la rue. Le détail qui permet en quelques centimètres carré de peau de deviner un être, unique et inconnu. Il y a toujours énormément d'humanité dans ces photos un peu mystérieuses. Comme la photographie ne montre pas le visage, elle laisse ouverte la porte à nos imaginaires. C'est un instant suspendu livré à nos propres projections. Une page blanche qui nous invite à écrire l'histoire.
Vivian Maier, New York, 31 octobre 1954, tirage argentique, 2012 © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY
Le regard de Gaëlle Josse : Vivian Maier montre qu'elle maîtrise de façon magistrale la lumière et le graphisme. Jeux de lignes, clins d'oeil. Elle possède ce regard de génie qui réussit à capter le cadrage presque (supprimer) parfait dans une fraction de seconde. Mais cette recherche visuelle n'est jamais froide. Le propos reste toujours humain. La logique esthétique de la démarche n'occulte jamais l'humanisme de la vision.
Vivian Maier, Chicago, 16 mai 1957 tirage argentique, 2012 © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY
Le regard de Gaëlle Josse : Vivian Maier est célèbre pour avoir mis en lumière les personnes modestes, parmi lesquelles des Noirs, des hispaniques, qu'elle photographiait dans les quartiers pauvres de New York ou de Chicago. Ce regard porté sur les "invisibles" de l'Amérique des années 50-60 ne tombe jamais dans le misérabilisme. Au contraire. Il redonne leur dignité aux sujets photographiés. Le regard est frontal mais jamais obscène, et les exclus du rêve américain prennent là une densité à la fois tragique et émotionnelle, une vérité qui nous trouble encore aujourd'hui.
Vivian Maier, New York, 3 septembre 1954 tirage argentique, 2014 © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY
Le regard de Gaëlle Josse : Vivian Maier aime photographier les femmes et saisir chez elles leurs efforts de coquetterie. C'est un autre versant de ce que la photographe saisit des "détails signifiants". Avec attention et humour parfois. Ici, ce chignon en dit long d'une classe sociale, d'une attitude. La photo regarde la coiffure comme un objet avec ses volutes et sa résille. La femme, elle-même objet, de contrainte plus que de désir ?
Vivian Maier, Digne, 11 août 1959 tirage argentique, 2020 © Estate of Vivian Maier, Courtesy of Maloof Collection and Howard Greenberg Gallery, NY
Le regard de Gaëlle Josse : Vivian Maier qui était gouvernante a énormément photographié les enfants. Ce thème est central dans son œuvre. Ces enfants apparaissent souvent tourmentés, peu soignés, réminiscence peut-être de l'enfance de la photographe. On sent que l'avenir des ces enfants issus de milieux pauvres sera difficile, probablement. Dans cette photo, le dessin à la craie comme un fantôme indique aussi l'absence. Le manque. Tout ce qui n'existe pas et que seul l'imaginaire peut espérer attraper. Nous ne sommes pas ici dans les enfances poétiques et rêveuses à la Doisneau. Ces enfants-là ont la vie rude dès le départ, on voit que pas grand-chose ne leur est épargné. J'y lis aussi une manière d'autoportrait...
>Une femme en contre-jour de Gaëlle Josse, Notabilia/Noir sur Blanc, 153 p., 14 euros.
Une biographie subjective qui s'approche par 'photos' successives du mystère Maier. Une écriture poétique qui résonne avec l'œuvre de la photographe.
« Une vie de solitude, de pauvreté, de lourds secrets familiaux et d’épreuves ; une personnalité complexe et parfois déroutante, un destin qui s’écrit entre la France et l’Amérique. L’histoire d’une femme libre, d’une perdante magnifique, qui a choisi de vivre les yeux grands ouverts. Je vais vous dire cette vie-là, et aussi tout ce qui me relie à elle, dans une troublante correspondance ressentie avec mon travail d’écrivain. » Aller sur le site Noir sur Blanc
>Le Journal de l'Exposition Vivian Maier, par Gaëlle Josse et Anne Morin, 6 euros.
Un éclairage sensible et poétique sur l'oeuvre de la photographe, entre inspiration et respiration. « L'étrange et longue histoire de Vivian Maier s'écrit, tout au long de sa vie, entre la France et l'Amérique. C'est un mouvement de balancier aux oscillations irrégulières qui la conduit, de New York puis de Chicago aux petits villages des Alpes de Haute-Provence, Saint-Julien, puis Saint-Bonnet à proximité de Gap, d'où la famille de sa mère est originaire. »
L'exposition Vivian Maier se tient au Musée du Luxembourg, Paris, jusqu'au 16 janvier 2021. Commissaire de l'exposition : Anne Morin. Avec le soutien de la Fondation Kering, Women in Motion. Visionner la bande-annonce de présentation.
Visionner le film de Josephina Severino qui retrace l'œuvre en images de la photographe emblématique.
Après Posy Simmonds en 2024, c’est Anouk Ricard qui est élue par ses pairs Grand Prix de la 52ᵉ édition du Festival International de la Bande Dessi
Les 9e Nuits de la lecture, organisées pour la quatrième année consécutive par le Centre national du livre sur proposition du ministère de la Cultu
Le jury du Grand Prix RTL - Lire Magazine 2025 vient de donner la liste des cinq romans sélectionnés.