Plus jeune lauréat depuis Patrick Grainville en 1976, Mohamed Mbougar Sarr devient à 31 ans le premier sénégalais à recevoir le prix Goncourt pour La plus secrète mémoire des hommes (Philippe Rey/Jimsaan). L'Académie Goncourt a adoubé un livre, à la construction complexe, dans lequel le narrateur part sur les traces d'un poète disparu. Par son choix, elle a aussi voulu montrer que la littérature française est aussi une littérature monde. Un signal fort, juste après la clôture des Etats généraux du livre en langue française.
Pour lui, «écrire est une énigme». Et l'ambition, un moteur. Mohamed Mbougar Sarr, né au Sénégal en 1990, a franchi avec brio les différentes étapes qui l'ont mené à intégrer la filière d'élite des garçons au prytanée militaire de Saint-Louis-du-Sénégal, puis les classes préparatoires en France et l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. De là à imaginer qu'il pulvériserait tous les records... Plus jeune lauréat après Patrick Grainville en 1976, il est aussi le premier sénégalais à monter sur le podium du prix Goncourt, la plus prestigieuse récompense de la littérature française pour son 4e roman: La vie secrète des hommes.
Une récompense qui était attendue, tant la ville bruissait de la rumeur depuis quelques semaines. Une belle revanche pour celui qui n'hésitait pas à évoquer dans son livre, le ghetto formé par les cercles d’écrivains africains vivant à Paris et leur rêve de « l’adoubement du milieu littéraire français (qu’il est toujours bon, dans sa posture, de railler et de conchier). C’est notre honte, mais c’est aussi notre gloire fantasmée ; notre servitude, et l’illusion empoisonnée de notre élévation symbolique »... Manifestement le milieu littéraire français a fait chapeau bas et a su ouvrir grandes les portes de la renommée à cet écrivain africain.
Un exploit qui a réjoui le franco-congolais Alain Mabanckou, qui a immédiatement félicité le jeune lauréat depuis son compte Twitter «Félicitations au Sénégalais Mbougar SARR, Prix Goncourt 2021. Le Sénégal honore en ce jour historique la littérature mondiale. Bravo !!! »
Dans son livre, Mohamed Mbougar Sarr célèbre les pouvoirs de la création littéraire. Son récit à la construction complexe, convoque les mystères de l'écriture, ses jeux du réel et de la fiction.
Le récit part et parle d'une quête. En 2018, un jeune écrivain sénégalais, Diégane Latyr Faye (double de l'auteur ?) se lance sur les traces de TC Elimane, un mystérieux écrivain du début du siècle, auteur d’un livre mythique et maudit, paru en 1938, Le Labyrinthe de l’inhumain qui lui a valu le surnom de «Rimbaud nègre». Avant que des accusations de plagiat n’aboutissent à sa disgrâce et sa disparition. Pour créer ce personnage, Mohamed Mbougar Sarr s'est inspiré en partie de l'écrivain Malien Yambo Ouologuem, qui avait connu la gloire en 1968 avec Le Devoir de violence (Seuil), couronné par le prix Renaudot, avant d'être voué lui-aussi aux gémonies et accusé de plagiat.
Qu'est devenu TC Elimane ? En remontant le fil de son histoire, le narrateur est entraîné dans un labyrinthe à la Borges, où il découvre de nombreux écrits (journal intime, articles de presse, entretiens, récits d’apprentissage…), et navigue entre les lieux : Sénégal, Argentine, France. L’Histoire du XXe siècle sert de toile de fond à cette quête qui devient aussi celle de la recherche de la source. Où se crée l'écriture ? Où s'engendre le monde ? Comment l'exil façonne-t-il une œuvre ? Dans l'acte créatif, il existe toujours un voile opaque, qui flotte au gré du vent. Il devient, pour ceux qui voient, miroir, reflet. Et pour les autres ? La plus secrète mémoire des hommes est un beau récit en l'honneur de l'écriture et de ses «infinis». Un texte ambitieux.
Avec ce choix, l'Académie Goncourt frappe un grand coup en faveur de la diversité. Quelques semaines après la clôture des Etats généraux du livre en langue française (lire notre article, ainsi que l'interview de Sylvia Marcé, la commissaire de ces Etats généraux ), le message est clair : il est temps de concevoir la littérature en langue française, comme une littérature «monde». Ce Goncourt donne un message d'espoir à tous les écrivains de l'Afrique francophone. A l'heure où les frontières se referment et les nationalismes s'exacerbent, il est heureux que la littérature nous réconcilie avec l'universel.
>Mohamed Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes, Philippe Rey/Jinsaam, 448 pages, 22 euros
>Lire un extrait du livre
>Biographie : Mohamed Mbougar Sarr, né en 1990 au Sénégal, vit en France et a publié trois romans: Terre ceinte (Présence africaine, 2015, prix Ahmadou-Kourouma et Grand Prix du roman métis), Silence du chœur (Présence africaine, 2017, prix Littérature-Monde – Étonnants Voyageurs 2018), et De purs hommes (Philippe Rey/Jimsaan, 2018). La plus secrète mémoire des hommes (Philippe Rey/Jimsaan, 2021) est son quatrième livre.
>Visionner un échange en vidéo avec Mohamed Mbougar Saar au sujet de La plus secrète mémoire des hommes. Une rencontre animée par Julia Brugidou dans le cadre d'Africa Montpellier.
Légende photo : Jérôme Garcin, Hervé Le Tellier, Rachida Brakni, Marthe Keller, Gaël Faye, Kamel Daoud, Rebecca Dautremer, Emmanuel Lepag
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