Laetitia Krupa expose dans La tentation du clown (Buchet-Chastel), le fruit d' une enquête qui interroge l'hypothèse de l'élection en France d'un candidat «hors-système» au sommet de l'Etat. Depuis la sortie du livre, les possibles canditatures d'Eric Zemmour ou de Cyril Hanouna ont confirmé la vraisemblance de cette interrogation. Rencontre avec une journaliste qui parle sans langue de bois.
Légende photo : Laetitia Krupa engagée dans le réveil des consciences.© Olivia Phélip
Sommes-nous en train d'assister au crépuscule des démocraties occidentales, dont les dirigeants se sont technicisés et internationalisés, jusqu'à se couper des aspirations de leurs populations ?
Laetitia Krupa, journaliste spécialiste de la communication politique, collaboratrice de plusieurs émissions de télévision sur BFM TV, France 24 et I24News, ainsi que chroniqueuse dans l'émission Les Grandes Voix d'Europe 1 et auprès de Laurent Ruquier, a observé ce malaise bien avant l'élection de Donald Trump aux Etats-Unis, notamment lors de la montée en puissance en Italie de Beppe Grillo. L'humoriste et agitateur d'idées transalpin, initiateur en 2009 du Mouvement 5 étoiles, a obtenu un quart des voix aux élections générales de 2013. L'onde de choc a commencé alors en Europe et ce que l'on nomme "le populisme" a fait tache d'huile dans les mouvements d'idées. Jusqu'à quel point ?
Pour écrire La tentation du clown (Buchet Chastel), Laetitia Krupa a interrogé une cinquantaine de professionnels -analystes, sondeurs, conseillers du prince, sociologues, hommes politiques... Une enquête qui révèle l'unanimité des interrogés sur un point : le risque systémique d'un séisme populiste en France n'est plus une hypothèse d'école, mais bien une probabilité. Après la crise des gilets jaunes et en pleine pandémie, les Français sont-ils prêts à élire un candidat hors-système ?
L'actualité récente a placé Eric Zemmour sur le devant de la scène. La parution de son prochain livre vient d'être annulée par son éditeur Albin Michel, au motif que "son texte ne serait pas celui d'un essayiste mais celui d'un futur candidat à l' élection présidentielle". D'autres noms circulent qui pourraient eux-aussi peser dans le prochain scrutin: Cyril Hanouna J.-M. Bigard, Michel Onfray, Didier Raoult, Jacline Mouraud, Éric Drouet, Francis Lalanne... Tous des clowns ? Des sauveurs ? Des révélateurs d'un malaise grandissant ? Laetitia Krupa observe et analyse quarante ans après la pantomime Coluche, comment le dialogue politique français est bloqué. Rencontre avec une journaliste qui espère que son livre servira de révélateur à ceux qui se pensent immuables.
Légende photo : Laetitia Krupa scrute les ressorts du débat démocratique © Olivia Phélip
Laetitia Krupa : Une observation par mon métier journalistique d'un décalage de plus en plus grand entre les jeux politiques et les préoccupations des Français. Cette observation s'est étayée de la vague populiste qui touche de nombreux pays depuis plusieurs années, sans que les médias ou observateurs aient vu le phénomène arriver.
L.K : Je voulais donner un véritable écho à tous ceux qui pensent notre société française. Aussi bien des sociologues, des conseillers, des responsables d'associations, des penseurs, des personnalités politiques de différents courants, des spécialistes des sondages... De façon à croiser les analyses et arriver à donner une photographie juste de l'état des lieux en France.
L.K : Il s'agit d'une personnalité qui n'est pas dénuée de charisme, mais qui fait partie de la société civile et non de l'univers politique. C'est pourquoi on peut le qualifier de "hors-système". Cette personne utilise la provocation, le pas de côté, la pirouette. Tout en prétendant parler au peuple, celle-ci ne parle finalement que pour elle-même. Personne ne croit sérieusement que ce "clown" pourrait accéder au pouvoir. Tout au plus on le crédite d'une parole provocatrice. Souvenez-vous de l'élection de Donald Trump! Personne n'a cru qu'elle serait possible. Et même lors du dernier scrutin américain, tout le monde pensait que l'ancien président allait être laminé et finalement il est bien resté dans la course, malgré tout ce qui lui était reproché.
L.K : Pourquoi pas ? Quand on observe les taux d'abstention aux élection, on voit bien que les électeurs ne se retrouvent plus dans la représentation actuelle. Nous sommes passés de fractures sociales à des fractures politiques. Ainsi la brèche s'est-elle ouverte pour l'arrivée d'un homme ou d'une femme qui viendrait tout bousculer et promettre la lune. Un Baron noir à l'Elysée n'est pas impossible. Cela fait peur.
L.K : Les signaux sont tous alignés pour préparer un tsunami : une crise sanitaire, une future crise économique, une désaffection de tous les corps constitués, comme les syndicats qui, eux-aussi, se sont coupés des préoccupations de leur base... Beaucoup de personnalités se rendent compte de ce risque, même s'ils ne sont pas à l'aise pour trouver des solutions. Lors des régionales, l'appel à la mobilisation n'a pas servi à faire venir les électeurs, signe d'une rupture de crédibilité entre les représentants et les citoyens. Mais cette prise de conscience va peut-être faire évoluer les discours, les projets, ainsi que leurs formats de communication...
L.K : Celui d'un électrochoc! Tant pour les personnalités politiques que pour les électeurs. La tentation du clown n'est pas une fin en soi, elle représente un symptôme. Si le système retrouve le chemin du lien avec ceux qu'il représente, le "clown" restera à sa place de clown justement, et ne viendra pas être un acteur direct de champ politique. Car aussi audacieux qu'un clown puisse être, sa marge de manœuvre est réduite et sa capacité de destruction forte. Les électeurs qui pensent que rien ne peut être pire qu'aujourd'hui se trompent. Il me semble qu'il est temps de revaloriser l'action politique et de montrer que toutes les actions ne se valent pas. Mais que les mutations sociétales et environnementales exigent des ajustements forts, des projets courageux. Si la classe politique reste sourde à ce besoin de changement en profondeur, les Français chercheront inévitablement d'autres figures pour incarner leur désir de transformation. Et c'est alors que le "clown" pourra entrer en scène.
>Laetitia Kupa, La tentation du clown, Buchet-Chastel, 281 pages, 21,90 euros
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