«Au moins le souvenir»

Sylvie Yvert: «Lamartine fut un homme politique visionnaire»

D'Alphonse de Lamartine, le public connaît le poète. Pourtant il fut aussi un homme politique, visionnaire, engagé, que la postérité, ingrate, semble avoir oublié. Dans son roman Au moins le souvenir (Héloïse d'Ormesson), sélectionné pour le Grand prix du roman de l'Académie française, Sylvie Yvert répare cette injustice et rend un hommage enflammé à l'auteur des Méditations. L'autrice qui est tombée sous le charme de «son» Lamartine répond à nos questions.

Portrait de Sylvie Yvert. Editions Héloïse d'Ormesson

« Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir ! 
»

Les vœux formulés dans ces vers extraits du plus célèbre poème d'Alphonse de Lamartine (1790-1869), Le Lac, semblent avoir été entendus. En partie. Les rochers, les grottes et les forêts ont bien gardé le souvenir de l'auteur des Méditations. Mais ils ont perdu la trace des nuits enflammées par ses combats politiques. La postérité a même oublié que c'est à lui que l'on doit le suffrage universel, le drapeau tricolore, ainsi que l'abolition de la peine de mort et de l'esclavage. 

La vie intense d'un grand homme politique

Sylvie Yvert, qui nous a déjà enchantés avec ses deux précédents ouvrages, Mousseline La Sérieuse et Une année folle, s'attaque de nouveau à réparer une injustice de la mémoire collective, en redonnant vie au destin exceptionnel de Lamartine. Elle le dépeint sous sa vie de diplomate, de journaliste, de ministre, d'élu local et de penseur politique, au croisement des contradictions de son époque. Désavoué par les Rouges comme par les Royalistes, toujours porté par une vision démocratique et réconciliatrice pour son pays : la France. 

Un faux journal pour une vraie histoire

En prenant le point de vue de la femme de Lamartine d'origine anglaise, Marianne, sous la forme d'un journal intime, fictif bien qu'uniquement fondé sur des éléments vrais, Sylvie Yvert redonne vie à une personnalité fascinante. Elle dépeint une époque qui porte les germes de nos futurs débats républicains. Si Lamartine fut visionnaire, ses tourments rappellent étrangement ceux de nos débats contemporains. Alors, si les thèmes se retrouvent, comme l'Histoire qui se répète, où sont aujourd'hui les Lamartine, ceux qui pensent le monde avec panache et générosité, en osant s'engager pour le bien commun, parfois aux dépens de leur intérêt personnel ? A la lecture du livre de Sylvie Yvert, on peut se poser la question.
Rencontre avec une autrice qui confirme son talent pour raconter l'Histoire comme un roman, et écrire des récits à partir de véritables personnages. 

Viabooks : Pourquoi Lamartine ?

-Sylvie Yvert : J'ai voulu réparer une injustice de la mémoire. Comme je l'avais déjà fait dans mes précédents livres pour d'autres personnes oubliées par l'Histoire. Dans le cas de Lamartine, cette injustice est d'autant plus choquante qu'il existe une mémoire tronquée, puisque seul le poète est passé à la postérité. Mais on a oublié l'homme politique, qui n'était ni de droite, ni de gauche mais, et de droite et de gauche, mêlant convictions et bon sens, vision et abnégation, engagement et empathie. Bref, un homme politique comme on rêverait d'en rencontrer aujourd'hui !

Quand avez-vous pris la mesure du destin politique de Lamartine ?

-S.Y : J'avais participé à un ouvrage collectif sur les Ministres. C'est ainsi que j'ai découvert que Lamartine avait été non seulement Ministre sous la Seconde République, mais aussi candidat à la première élection présidentielle. Je m'étais promis de revenir sur le sujet.

Vous avez choisi de donner la parole à la femme de Lamartine, Marianne, sous la forme d'un journal intime. Un parti-pris osé ?

-S.Y : Moins que si j'avais décidé d'écrire à la place de Lamartine ! Marianne de Lamartine, née Mary Ann Elisa Birch était anglaise. Elle apporte ce regard de l'intérieur, avec un léger biais dû à ses origines britanniques. Elle épouse Lamartine en 1820 et restera un soutien indéfectible de son mari toute sa vie. Il n'existait pas de meilleur "témoin" pour faire le lien entre l'homme public et l'homme privé. Elle servit d'ailleurs de modèle pour la première statue de Marianne représentant la France. Un joli clin d'œil.
J'ai voulu au travers de son personnage montrer ce qu'était le destin d'une femme à l'ombre d'un grand homme. Sauf que dans son cas, elle réussit aussi à devenir sa plus fidèle collaboratrice.
Les femmes ont toujours été importantes pour Lamartine. Il était le seul garçon de sa famille et a grandi auprès de six sœurs. Sa mère a joué également un rôle capital dans la construction de sa personnalité, car elle a toujours cru en son destin exceptionnel. Finalement, derrière un grand homme, il y a souvent une mère et une femme !

Tout ce qui est écrit est-il réel ou avez vous romancé certaines anecdotes?

-S.Y : Tout ce qui est écrit dans le livre est réel. Toutes les citations que je mets sous la plume de Marianne sont exactes. L'écriture à la première personne aide à romancer. Mais les sources multiples sont toutes authentiques. 

Comment avez-vous travaillé pour constituer votre réservoir de documentation ?

-S.Y : J'ai eu beaucoup de chance, car il existe de nombreuses biographies de Lamartine et de nombreux travaux de recherche. De plus, la vie politique du XIXe siècle passe aussi par la presse et les observations de nombreux pamphlétaires de l'époque. Il existe également des témoignages de proches de Marianne, qui m'ont été très utiles. Je n'ai donc pas manqué de documentation. Au contraire. 

En quoi Lamartine a-t-il été, selon vous, un homme politique exceptionnel ?

-S.Y : Il est devenu républicain avant Victor Hugo. Il croyait profondément à la souveraineté du peuple. C'est pourquoi, il s'est engagé pour développer ce qu'on appelait alors "l'instruction". C'est lui qui a convaincu les députés de passer au suffrage universel. Il s'est engagé pour le droit au chômage et à la retraite, sans parler de ses positions sur l'abolition de la peine de mort et de l'esclavage. On peut dire qu'il était en avance sur son temps et qu'il était profondément humain. Il n'était cependant pas un utopiste. C'était un homme de terrain et de bataille. Il savait être pragmatique et concret. C'est ce qui est très frappant chez lui : la coexistence du poète, du visionnaire et de l'homme d'action. C'est vraiment un génie !

Vous nous faites découvrir aussi un Lamartine diplomate, fasciné par l'Orient...

-S.Y : Lamartine portait en lui les valeurs de la France, mais se voulait ouvert sur le monde. En tant que diplomate, il est allé en Italie et en Syrie par exemple. Il rêvait d'Orient avant que ce ne fût la mode. Bien que catholique, il s'est beaucoup intéressé à l'islam, qu'il qualifiait de "religion de la prière". Il en parle avec respect et porte un regard subtil sur la culture musulmane.

Vous montrez aussi un Lamartine fragile, sombrant dans la dépression à différents moments de sa vie ...

-S.Y : Il est vrai que parfois Lamartine réagit par contrecoup et prend du recul. Il a dû aussi faire face à quelques grands drames personnels comme la mort de ses deux enfants. Lorsqu'il sombre dans un accès de mélancolie, il se retire. Puis il trouve cette force de repartir "au combat". Son énergie et sa capacité à se réinventer sont fascinantes. 

Lucide sur la vie, il écrivit ce vers : «La poésie fait pleurer aux deux extrêmes de la vie, jeune d'espérance, vieux de regrets.» Prémonitoire ?

-S.Y : Lamartine a été adulé au cours de sa vie, puis littéralement abandonné de tous. Il a connu la déchéance de son vivant. Une prophétie dite par des Bohémiennes que je relate dans le livre lui avait prédit : «Tous vos projets seront contrariés, et vous serez trois fois dans votre vie des plus malheureux des hommes, mais vous avez trois étoiles qui veillent derrière les nuages et qui vous donneront trois grandes destinées.» Poète, diplomate, homme politique, trois destinées éclatantes. Mais il connut aussi les soleils noirs de ses succès. A la fin de sa vie, il fut plongé dans la misère et l'oubli. Il connut l'amertume et les regrets. Mais, quelle vie et quel homme ! 

>Au moins le souvenir, Sylvie Yvert, Editions Héloïse d'Ormesson, 384 pages, 20 euros

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