Son livre est une des révélations de la rentrée. Les envolés (Gallimard) qui figurait sur les liste de nombreux prix vient de recevoir le Goncourt du premier roman, après avoir été sélectionné parmi les Talents Cultura. Voilà donc des envolés qui volent haut. Étienne Kern revient avec nous sur le cœur de son livre : le croisement des rêves et de la mort, la surimpression entre le destin tragique de Franz Reichelt et la disparition des êtres chers. Rencontre.
Légende photo : Étienne Kern photographié dans les jardins de la Maison de l'Amérique latine lors d'une rencontre organisée par Cultura © Olivia Phélip
Petit bijou de la rentrée littéraire, Les envolés d'Étienne Kern portent bien leur nom, puisqu'ils volent vers les cimes. Après avoir été désigné Talents à suivre par Cultura (qui a souvent le nez creux pour signaler les meilleurs pépites ), ce premier roman vogue vers les sommets des jurys, puisqu'il est présent sur les listes de nombreux prix. Le public ne s'y trompe pas, qui lui réserve aussi un bel accueil. Ce succès est mérité. Les envolés se lit avec émotion. Comme si Étienne Kern savait murmurer les mots qui parlent directement à l'âme.
«Il avait les yeux clairs, presque gris, ceux d'un rêveur. Ses larges moustaches se relevaient curieusement quand il souriait. Sa voix profonde, avec des accents rauques, était capable d'une grande tendresse.» C'est ainsi qu'est décrit Franz Reichelt, héros central du roman. Étienne Kern a été hanté par la photo tristement célèbre, datée du 4 février 1918, qui montre l'envol de ce tailleur pour dames autrichien depuis le sommet de la Tour Eiffel, affublé d'une sorte de combinaison ailée, comme un parachute, suivi de sa chute mortelle. Il avait 33 ans. Un âge christique. Franz Reichelt rêvait de voler et était convaincu que son mécanisme lui permettrait de planer. Malgré les expérimentations précédentes qui avaient échoué, il tint à se lancer dans le vide pour prouver au monde le bien-fondé de son invention. La photo le montre les bras en croix, tel un supplicié des rêves impossibles. Ou un Prométhée cherchant l'ultime tentative.
Hanté par les images de cette chute, Étienne Kern mêle à l’histoire vraie de Franz Reichelt, celle de ses proches "envolés" : le suicide d'une amie ou la mort de son grand-père, disparu peu avant sa naissance, qui flotte comme une ombre derrière lui.
Le style d'Étienne Kern est sobre et pudique. Comme si le sujet porté par une gravité contenue n'autorisait ni les effets de style, ni les faux semblants des digressions littéraires. Étrangement, l'histoire de cette chute tragique est aussi celle qui mène à la gloire. L'échec de sa tentative accorde à Franz Reichelt une plus grande notoriété que s'il avait réussi son exploit. Étrange retour des choses de la vie. Et de la mort.
Nous rencontrons Étienne Kern, lors d'une de ces journées où l'été et l'automne ne font qu'un. Le ciel est clair et l'atmosphère joyeuse. Les envolés planent ici avec une douceur qui masque la douleur enfouie dans les mémoires.
-Etienne Kern : Vous connaissez peut-être cette phrase de Paul Eluard : "Laisser des marges blanches dont le lecteur s'emparera pour écrire sa propre histoire". Ce qui n'est pas écrit... en effet, il y a beaucoup de sous-entendus dans mon livre. Peut-être même l'ai-je écrit précisément parce qu' il y a des choses que je n'arrivais pas à dire ? Peut-être aussi car, parfois, il y a si peu de réponses au réel, que seule la "marge" blanche laissée vierge, permet à ce réel de prendre sa place sans se figer ?
-E.K : Cette histoire est en soi fascinante. Il existe cette photo. Mais il y a un mystère qui n'a jamais été éclairci : pourquoi ce défi ? Tous les essais antérieurs tentés par Franz avaient été des échecs. Il voulait démontrer que son sytème allait marcher, mais c'est comme si tout indiquait le contraire. Et pourtant il a voulu sauter dans le vide, au péril de sa vie. Pourquoi ? On ne peut pas parler de suicide à proprement parler. On peut juste dire qu'il voulait tant croire à son obsession que seule sa démonstration au prix d'un engagement personnel pouvait apporter la réponse. Peut-être qu'il ne pouvait envisager l'échec ? La mort est toujours impossible à appréhender. J'ai été marqué par le suicide d'une amie. J'ai peut-être trouvé dans le geste de Franz quelque chose de cet ultime défi que des êtres trop sensibles se donnent pour continuer de voler ?
E.K : Il s'agit probablement d'une coïncidence dans le geste et l'angle de la prise de vue. Mais cette photo existe et ce geste aussi. Tout défi comporte une part de folie et de sacrifice. Car Franz voulait sans doute faire avancer la science, démontrer que l'homme pouvait voler comme un oiseau. Ce qui est étonnant, c'est qu'il n'était ni ingénieur, ni chercheur. Mais peu importe. Les inventeurs incarnent toujours une forme d'obsession. C'est ainsi qu'ils font avancer le monde. Folie ? Sacrifice ? Orgueil ? Un peu de tout cela probablement.
E.K : S'il avait réussi son vol plané, l'Histoire aurait-elle retenu le nom de Franz Reichelt ? Probablement pas. Alors qu'avec cette chute filmée et photographiée en direct, Franz est entré dans la postérité. Il est en quelque sorte devenu le héros de son rêve malgré son échec. Et d'autres ont accompli son rêve après lui.
-E.K. : Mon grand père est mort avant ma naissance. Son ombre a plané au dessus de moi depuis que je suis enfant. La mort fantôme, c'est une sorte d'envol invisible. Une béance qui définit notre rapport au vide, au mystère. Au silence.
-E.K. : Résonner avec une histoire qui m'a aspiré et fasciné, m'a permis d'approcher mes propres sujets. Pour leur donner une dimension plus universelle aussi. Et puis, il y a la Tour Eiffel. Elle est toujours présente. Imperturbable. L'un des symboles de Paris. Du Paris joyeux de la Belle Époque à celui d’aujourd’hui, elle existe toujours comme un trait d'union lancé vers le ciel. La vie continue toujours, malgré les absences.
E.K.: Qui sait quelle est la place de nos "disparus" dans nos vies ? Les destins se suivent comme un enchaînement de transformations par générations succcessives. Il se crée un héritage qui nous accompagne.
De la même manière que Franz a sûrement donné une place à son rêve qui a été accompli par d'autres, chacun de nous accomplit un autre segment de vie, laissé vacant par "ses" disparus. C'est pourquoi je n'ai pas voulu écrire un livre sur le deuil. Mais bien sur l'attraction du rêve de ceux qui nous ont quittés. L'écriture se situe dans cet interstice, cette marge blanche laissée intacte.
>Les envolés, Etienne Kern, Gallimard, 160 pages, 16 euros
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