Serguei, de son nom complet Serguei Goizauskas, est un être multiple. Dessinateur-éditorialiste vedette du journal Le Monde, mais aussi musicien, chanteur, vidéaste, auteur... Dans Le tango du dessinateur (Editions Herodios), il revisite trente-cinq ans de dessins avec une sélection des plus emblématiques et nous offre une histoire écrite comme un conte fantastique. Un beau-livre à offrir (ou à s'offrir) pour trouver la poésie qui se cache derrière le quotidien.
Serguei Goizauskas dit Serguei est un être multiple. Pétri de plusieurs cultures - d'origine argentin et lituanien, immigré en France pour fuir la dictature-, de plusieurs arts -musicien, dessinateur et conteur-, il épouse le champ total de ses inspirations.
Par une belle après-midi d'un automne qui joue avec le soleil, au centre de Paris désert pour cause de Covid, nous entrons dans la danse et allons à la rencontre du dessinateur le plus facétieux du paysage graphique. Il nous reçoit chez lui entre sa table où les dessins s'amoncellent, son grand piano, sa guitare, ses nombreux instruments de musique et ses canapés aux motifs orientalistes.
-Serguei : Pour moi l'actualité renvoie toujours à l'intemporel. Je n'y vois pas de contradiction. Ce qui peut sembler paradoxal puisque je dessine pour un quotidien (NDLR : Le Monde). Pourtant ce qui m'intéresse c'est de résonner avec l'actualité de façon archétypale. Ce n'est pas le fait en lui-même que je recherche mais bien sa mise en perspective avec mon propre regard. Ma conception du monde. Et j'aime cette stimulation de rechercher perpétuellement le lien entre l'appel de l'anecdote et la prise de hauteur. Par la recherche d'un message essentiel et universel.
-S. : Il me semble qu'on doit pouvoir tout dire, car le jour où la censure définit une limite, elle devient très vite arbitraire et subjective. Je suis cependant attaché à la notion d'élégance. J'ai connu la dictature, et je sais comment on peut vite pactiser avec le mensonge. Mais je cherche toujours le beau, le trait juste, pertinent, porteur de sens et de questionnement. A titre personnel, je pense qu'un dessin est puissant quand il n'a pas besoin d'outrance. Un dessinateur de presse donne à voir. Bien souvent cette pédagogie vis à vis du lecteur est plus utile quand elle le prend par le questionnement et non par le coup de poing.
-S. : Chaque image est archétypale d'une partition universelle dans laquelle interviennent en effet mes interrogations. Quel monde va-t-on laisser à nos enfants ? Cela fait des années que j'essaie d'aleter par mes dessins qui expriment la destruction du monde, avec par contraste la beauté de la lune et des étoiles. Le ciel étoilé est ce qui réunit tous les hémisphères. Mais savons- nous regarder le ciel ?
Quant aux abus du pouvoir... Par quelle nouvelle chimère le pouvoir va-t-il s'emparer d'un individu ou d'un groupe d'individus ? Je me suis enfui de l'Argentine, puis du Chili à cause de la dictature. Ceci m'a marqué à jamais. Je distingue toujours cette "odeur" de l'abus, la manière souvent insidieuse qu'elle a de s'immiscer dans nos vies. Je la sens aujourd'hui ramper du côté des outils de contrôle, des ordres au nom "du bien commun". De son côté participe des mêmes dangers : il est en train de fabriquer les armes redoutables d'une dictature silencieuse.
-S. : A l'initiative d'Angela Assouline Yadgaroff et de Philippine Cruse (NDLR : directrice-fondatrice des éditions Herodios). J'avais commencé à écrire un texte. Puis, nous avons procédé à une sélection de dessins. Quelques 300 au milieu de plus de six mille planches. Je n'avais pas réalisé qu'il y en avait autant! Et puis au fur et à mesure, il nous est apparu une cohérence visuelle entre la plupart. Mon style de dessin qui cherche le trait en mouvement avec une économie de moyens. J'aime que le dessin soit fluide, comme jeté d'un coup de plume, alors qu'il a été beaucoup travaillé en amont. Ces dessins ensemble me sont apparus porteurs de leur propre récit. C'est comme s'ils s'étaient mis à me parler.
-S. : Le dessin est une narration en soi. Ensemble, ces dessins ont composé une sorte d'alaphabet. J'avais déjà commencé à écrire une mise en abyme de ma vie. Car tout est lié. Et comme je suis aussi musicien, ce qui s'est imposé à moi a été d'écrire une sorte de partition avec un rythme et une danse, de faire coïncider texte et dessins.
-S. : Je ne vais pas renier ma culture originelle. Je pense comme je rêve et inversement, mes rêves accompagnent mes pensées. Le Tango s'inspire de ma vie, mais les personnages pourraient sortir d'un conte ou de la science-fiction. Le postulat de départ est simple : un dessinateur de presse, né à Buenos Aires sous la dictature militaire, s’habitue peu à peu à son exil à Paris. Un soir, au cours d’une de ses promenades, il est kidnappé et embarqué dans une limousine noire. La destination est la scène d’un théâtre abandonné, situé profondément sous terre, qui se prolonge en un labyrinthe inextricable. Le public des loges et de l’orchestre s’avère être un tribunal, qui s’apprête à le juger pour un crime mystérieux. Le dessinateur laisse alors ses dessins plaider son innocence. Il jouera le jeu ubuesque qu’on lui impose, en attendant de débusquer le personnage qui orchestre, dans l’ombre, cette parodie de justice. Mes dessins ont toujours été le fil de rouge de mon existence, mon langage, ma carte d'identité. Cette sensation a été particulièrement forte lorsque je me suis exilé en France. Dans ce livre, j'ai voulu revenir sur la force du dessin, envers et contre tout.
>Serguei, Le tango du dessinateur, éditions Herodios, 310 p, 29 euros. Acheter le livre en ligne sur : Fnac, Cultura, Decitre, Lalibrairie ... Plus d'informations sur l'auteur en allant sur son site
Photo © Olivia Phelip. Dessins© Editions Herodios
Visionner une création originale, paroles, musique, chant et piano, et dessins de Serguei Goizauskas. Publiée par "Le Monde Illustration", dimanche 11 octobre 2020.
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