Il s'agit du livre évènement de la rentrée. Déjà vendu à plus de 50 000 exemplaires, il est aussi en train de devenir le recordman des prix littéraires. Après avoir reçu les Prix littéraires Le Monde, Blù Jean-Marc Roberts et Les Inrockuptibles 2023, Triste tigre (P.O.L.) de Neige Sinno vient d'être couronné par le Femina et le Goncourt des Lycéens. Ces récompenses ne viennent pas seulement saluer le courage de l'autrice victime de l'inceste commis par son beau-père, mais souligne aussi la puissance d'écriture de ce texte, qui oscille entre autobiographie, confidences et références littéraires, pour tenter de comprendre ce qu'un tel crime signifie.
Triste tigre (P.O.L.) de Neige Sinno est l'événement de cette rentrée littéraire 2023. Encensé par les lecteurs (déjà plus de 50 000 exemplaires vendus), autant que par la critique et maintenant par les jurys des grands prix littéraires, il est porté en majesté. Son sujet est particulièrement douloureux : l'inceste subi par l'autrice de la part de son beau-père de ses sept ans à ses quatorze ans. Sept ans de silence, de souffrance, de manipulation.
Cependant, Triste tigre n'est pas un livre sur l'inceste. C'est un livre qui déconstruit un inceste. Le roman autobiographique de Neige Sinno dépasse de loin la simple dimension du témoignage. A l'instar de Vanessa Springora dans Le consentement, qui évoquait les abus subis pédophiles subis par elle de la part de l'écrivain Gabriel Matzneff, Neige Sinno démonte un mécanisme d'emprise. Emprise et pouvoir dictés par cet homme apparemment fort, guide de montagne aguerri et respecté, ce beau-père admiré. Qui pourrait imaginer que sous le ciel bleu azur et le soleil intense du Briançonnais, où vivait la famille de Neige, au nom prédestiné, se cachaient les ténèbres d'un être manipulateur et pervers ? Comment réussir à trouver une cohérence dans l'impensable ? Et qui pourrait croire aux dérives d'un homme, certes un peu rugueux et parfois colérique, mais apparemment courageux ? Ancien chasseur alpin. Roi de la montagne. Et maître absolu chez lui.
«Je l’ai longtemps perçu comme un démiurge, un être plus grand que nature. Il m’apparaissait comme une créature mythologique, un Sisyphe, un Prométhée torturé par des démons. Plus tard, avec le recul, je me suis dit que c’était peut-être simplement un pauvre type qui avait le don de la manipulation et qui a profité de la vulnérabilité d’encore plus faible que lui. Dans le monde clos de la famille, il était tout-puissant. »
Ce triste sire sait jouer du chantage affectif et de la punition. Au milieu, le silence, le secret auquel est soumis la petite fille, puis l'adolescente. L'autrice essaie de pénétrer l'esprit de son bourreau pour exposer son fonctionnement, sans jamais vraiment réussir à comprendre l'inimaginable. Qui inverse tout : la protection supposée du parent, l'amour, la projection. Et qui opère un chantage à l'amour. Avant de se conduire en prédateur qui soumet celle qui n'est que sa chose. En monstre. En triste tigre.
« Il disait qu’il m’aimait. Il disait que c’est pour pouvoir exprimer cet amour qu’il me faisait ce qu’il me faisait, il disait que son souhait le plus cher était que je l’aime en retour. Il disait que s’il avait commencé à s’approcher de moi de cette manière, à me toucher, me caresser c’est parce qu’il avait besoin d’un contact plus étroit avec moi, parce que je refusais de me montrer douce, parce que je ne lui disais pas que je l’aimais. Ensuite, il me punissait de mon indifférence à son égard par des actes sexuels. »
Ce que le livre de Neige Sinno décrit très bien, c'est l'impossibilité de nommer l'indicible. Comment faire exister sa souffrance, s'il n'y a pas de mots pour la dire ? Alors, elle cherche dans la littérature ce qui fait miroir à son histoire : elle relit Lolita de Nabokov, L'inceste de Christine Angot et tous les autres textes qui ont tenté de donner un visage aux viols et abus : de Virginia Woolf à Virginie Despentes, en passant par Toni Morrison.
En 2000, Neige et sa mère ont porté plainte. L’homme a été condamné, au terme d’un procès, à neuf ans de réclusion. Depuis, l'autrice qui a soutenu une thèse sur la littérature anglophone, notamment autour des œuvres de Raymond Carver et Richard Ford, vit aujourd'hui au Mexique avec son compagnon. La mise en lumière de son livre n'effacera jamais les supplices endurés, mais après la reconnaissance de la justice, celle du monde littéraire lui apporte une nouvelle étape dans sa reconstruction. Au nom de la petite fille qu'elle fut. Mais aussi au nom de toutes celles et ceux qui ont subi ou subissent encore aujourd'hui de tels crimes.
> Triste tigre de Neige Sinno, P.O.L., 288 pages, 20 euros >> Pour lire un extrait du livre, cliquer sur ce lien >> Pour acheter le livre, cliquer sur ce lien
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