Pour Alexis Jenni, romancier, essayiste, lauréat du prix Goncourt 2011, « Le voyage est un déplacement, qui n’a pas besoin d’extérieur pour être effectif. » L'auteur de L'Art français de la guerre (Gallimard) et de Parmi les arbres, essai de vie commune (Actes Sud, 2021), son dernier livre publié, répond aux questions d'Agnès Séverin, recueillies pendant le dernier Festival Etonnants Voyageurs de Saint-Malo, port d'attache des écrivains en quête de grands horizons.
Alexis Jenni, romancier, essayiste, lauréat du prix Goncourt 2011 pour L'Art français de la guerre (Gallimard) répond à nos questions. Son dernier ouvrage paru est : Parmi les arbres, essai de vie commune (Actes Sud, 2021).
Alexis Jenni : Etonnants voyageurs, c’est une fenêtre grande ouverte. Dans une littérature française qui est plutôt de chambre, comme on dit musique de chambre, avec tout ce que ça implique de raffinement feutré, c’est la fenêtre ouverte sur le grand large ; c’est le courant d’air. On y parle d’ailleurs, on y voit des écrivains d’ailleurs, et Chateaubriand y a sa tombe, face au large, sans balustrade de ce côté-là.
A.J. : Je regardais la mer, au matin. Elle était froide. Une vieille dame venait chaque jour en maillot de bain une pièce, bonnet de caoutchouc sur la tête. Elle posait sa serviette, entrait dans l’eau et nageait un bon moment. Plonger dans l’eau froide tous les matins, Ernst Jünger faisait la même chose, jusqu’à cent ans. Et sur la plage parfaitement vide, à part le bonnet de caoutchouc flottant sur l’eau, je vis avancer un auteur de polar islandais, barbe et crinière de Viking, en combinaison de plongée manches courtes, et lui aussi se mit à nager. Ils étaient les seuls. L’écrivain français que je suis se garda bien d’y plonger même un orteil.
A.J. : Je suis écrivain, pas voyageur ; alors plutôt que de voyager, je lis des récits de voyages, j’en écris aussi, pas besoin de tout vivre pour écrire, il faut bien que quelqu’un reste à la maison pour raconter. Le voyage est ce dont il est question dans les récits de voyages : le récit d’un déplacement, qui n’a pas besoin d’extérieur pour être effectif.
A.J. : La liberté c’est d’avoir la possibilité, à volonté, de n’être pas tout le temps soi. De se soulager de la fatigue des parapets, des rails et des glissières de l’identité. J’imagine que le voyage permet ça. En tout cas, écrire le permet.
-A.J. : J’ai aimé la littérature, j’ai aimé les sciences, j’ai aimé les arbres, mais pendant des années, je n’ai pas su allier les trois, chacun de ces amours allait son chemin, sans qu’ils ne parviennent à se croiser. Et puis un été dans les Pyrénées, marchant dans la forêt, c’est venu. J’ai eu envie de parler des arbres, parler à la fois de ce qu’ils sont et de comment nous vivons avec eux. J’ai commencé à écrire sur mon téléphone, en marchant, les gens que je croisais sur le sentier devaient me voir en citadin incapable de regarder autour de lui, alors que j’avais enfin trouvé la façon de raconter ce qui était là.
Je veux parler de ces êtres extraordinaires avec qui nous partageons la Terre, qui sont vivants comme nous mais d’une autre façon, et avec qui nous avons une relation continue à laquelle nous ne pensons pas assez souvent, tant elle nous imprègne, tant elle est profonde. Nous sommes arboricoles au fond, nous vivons avec les arbres depuis toujours. Alors plutôt que d’en faire des êtres anthropomorphes, j’ai voulu dire leur étrangeté, connue par les sciences, mais aussi notre proximité par des anecdotes qui racontent cette place familière, eux auprès de nous, nous auprès d’eux. En prenant ces deux points de vue que la littérature peut mêler, je veux rendre hommage à ces compagnons de vie, à nos colocataires de la Terre, sans qui nous ne pourrions l’habiter.
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