Lola Lafon vient de recevoir le prix littéraire Les Inrockuptibles, ainsi que le Prix Décembre 2022 pour Quand tu écouteras cette chanson (Stock). Un livre qui évoque avec justesse le destin d'Anne Frank, tout en croisant son histoire tragique avec celle de la famille maternelle de l'auteure. Rencontre.
Lola Lafon a le don de nous émouvoir, voire de nous bouleverser. Dans De ça je me console (Flammarion), La Petite Communiste qui ne souriait jamais (Actes Sud) sur le destin de Nadia Comaneci, ou encore Chavirer (Actes Sud), elle sait dire les fêlures et les chemins fragiles. Particulièrement inspiré, à la justesse cristalline, son dernier livre, Quand tu écouteras cette chanson (collection Ma nuit au musée chez Stock), est un récit de mise en abyme entre la confrontation de l'auteure avec Anne Frank et son reflet face à l'histoire de sa propre famille. Ce texte en ombre portée distille une lumière particulière à laquelle les jurés des prix d'automne ont été sensibles - tout comme les lecteurs. Lola Lafon vient de recevoir le prix littéraire Les Inrockuptibles, ainsi que le Prix Décembre 2022, organisé avec l'appui de la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent.
Cette chanson qui transperce le livre de Lola Lafon, c'est le bruit des mots du célèbre Journal d'Anne Frank, le murmure d'un texte, la musique d'une danse qui se termine en requiem. Anne Frank, que Lola Lafon nous présente en mettant en relief son talent, selon elle sous-estimé, porté par l'intensité de l'urgence et la profondeur de la gravité.
C'est aussi la valse lente des souvenirs, révélant en diagonale la famille maternelle juive de Lola Lafon qui a connu aussi la déportation. Sa grand-mère lui avait offert une médaille provenant du Musée Anne Frank, «pour qu'elle n'oublie pas». Une médaille longtemps restée cachée, dans le cachot des mémoires refoulées. Elle avait voulu oublier.
Puis, il y a eu cette longue nuit au Musée Anne Frank. Une invitation; une imprégnation. La médaille a retrouvé ses reflets. Lola Lafon s'est sentie happée par la tornade du passé. Ainsi est né Quand tu écouteras cette chanson, ainsi avons-nous découvert un récit qui montre combien l'écriture peut transfigurer les indicibles ténèbres de l'Histoire.
C'est dans le cadre du Musée Yves Saint Laurent, que Lola Lafon a reçu le prix Décembre. Sous les damas et les lambris dorés de cet hôtel particulier de l'avenue Marceau où le célèbre couturier a imaginé ses plus belles créations, le contraste semblait brutal avec l'évocation du grenier d'Anne Frank. Pourtant, le talent miroitant de la jeune autrice d'Amsterdam n'est jamais apparu aussi étincelant, l'évoquer dans ce cadre feutré était un bel hommage à son œuvre, étoile scintillante dans la nuit de l'Histoire. Lola Lafon répond à nos questions.
Légende photo : Lola Lafon au Musée Yves Saint Laurent juste après l'annonce de son prix © Olivia Phelip
-Lola Lafon : J'ai voulu la rendre à elle-même. Elle a été transformée en icône, et cette mythification a lissé sa véritable personne. Elle a été déjudaïsée par exemple. Son Journal a été relégué au rang de témoignage. Il a été gommé sa valeur d'écriture. Alors que malgré ses 13 ans, Anne Frank n'a pas écrit un simple journal intime. Elle a construit une qualité de récit, qui révèle un talent d'écrivaine, pas seulement à venir, déjà présent, profondément présent. Et bien sûr, elle n'est pas cette jeune fille un peu lisse, presque quelconque, pour la rendre universelle. Elle possède en réalité une complexité, une richesse intérieure. Elle sait même se rendre antipathique dans certains passages. Elle est tout sauf banale.
-L.L. : C'est un texte avec une véritable construction littéraire. Il s'appelle Journal par défaut. Anne Frank ne décrit pas le réel, elle le transforme. Elle choisit de s'adresser à un personnage de fiction, dans un dialogue imaginaire, qui révèle une construction littéraire. Elle donne des pseudonymes à ses personnages, ce qui lui permet d'en faire des personnages de fiction. La différence avec le simple témoignage réside en la capacité à transfigurer le réel. C'est ce qu'elle fait. Elle avait 13 ans, seulement. Et pourtant déjà une grande maturité, une capacité à la non-complaisance, une fragilité. Elle se dénude, tout en se dépassant.
-L.L. : Dès le départ je savais qu'en acceptant ce travail d'écriture au Musée Anne Frank, en m'enfermant moi-même pour une nuit dans l'annexe du musée, j'allais me confronter à ma propre histoire familiale. Mais je n'avais pas réalisé à quel point cela allait me faire «chavirer». Pourquoi n'avais-je jamais voulu ou pu le faire avant ? J'avais cru pouvoir effacer ce passé. Le nom de mon père, que je porte, ne fait pas référence à mon ascendance juive, qui est du côté maternel. Et puis il y avait tellement d'absents et de chapitres manquants dans cette histoire.... A l'adolescence, je voulais me fondre dans une sorte d'anonymat. Essayer d'occulter une histoire difficile, dont il ne restait presque plus de témoins.
-L.L. : Ma grand mère m'avait offert quand j'étais enfant une médaille qui provenait du Musée Anne Frank. Elle me l'avait confiée en me disant que c'était «pour que je n'oublie pas». C'est étonnant le pouvoir d'un objet. La trace qu'il laisse. J'ai d'ailleurs montré cette médaille aux responsables du musée actuel à Amsterdam. C'est presque une pièce «de musée», car ce modèle n'existe plus en tant que tel aujourd'hui. C'est un modèle qui, lui aussi, appartient au passé ! J'ai eu l'impression que la posséder me donnait une sorte de responsabilité. Pendant ma nuit au musée, j'ai pu enfin la regarder en face.
-L.L. : Beaucoup de choses. Plus encore peut-être que je n'en ai conscience. Ce qui est certain, c'est qu'il y aura pour moi un avant et un après ce livre. En partant sur les traces d'Anne Frank, j'ai eu l'impression de rencontrer une amie et de renouer avec le fil de ma propre histoire. J'ai remis la médaille à sa place, car c'est moi-même qui ai trouvé ma place maintenant.
>Lola Lafon, Quand tu écouteras cette chanson, Ma nuit au musée/Stock, 180 pages, 19,50 euros >> Pour acheter le livre, cliquer sur le lien
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