Le roman de l’Américain Jarred McGinnis fait un tabac auprès des libraires. Le public a suivi. La reconnaissance aussi, puisqu'il vient de recevoir le prix du premier roman dans la catégorie littérature étrangère. Le lâche (Métailié) est l’histoire d’une reconstruction, celle d’un jeune homme, Jarred après un accident de voiture. C’est aussi l’histoire des retrouvailles d’un père et de son fils, après dix ans de séparation. Un roman touchant parce que pudique.
Pas facile de donner envie de lire un roman sur le handicap. Ou de se motiver pour le faire. Les proches qui ont été confrontés à ce genre de basculement savent qu’il ne faut surtout rien changer à sa manière de vivre et de regarder les autres. C’est le riche enseignement de ce premier roman, efficace, sensible et pudique.
L’Américain Jarred McGinnis, qui vit aujourd’hui à Marseille, fait montre pour réaliser ce pari d’une maestria étonnante pour un primo-romancier. En effet, ce docteur en intelligence artificielle sait ménager l’intérêt du lecteur en gardant en réserve les secrets qu’il tente par tous les moyens de camoufler. Telle est la loi du genre humain.
L’auteur doit savoir ne pas trop en dire, telle est aussi la loi du récit, qu’il s’agisse d’un roman ou d’un scénario. Outre ce sujet aussi essentiel que dérangeant – personne n’est vraiment préparé à affronter le handicap d’un proche, voire d’un inconnu –, et qui reste donc original, intriguant, c’est cette capacité à ne dévoiler que pan après pan l’histoire de Jarred le rebelle et de ses parents qui fait le sel de ce roman. La lâcheté est-elle celle de Jarred uniquement ? A-t-il de vraies raisons d’être en colère ? De se défouler par la transgression, et pas seulement par l’humour corrosif dont il a hérité de son père ?
Jarred McGinnis (pourquoi ont-ils le même prénom ?) privilégie d’abord le point de vue de Jarred, adolescent fugueur, petit délinquant, charmeur et moqueur. Comme dans un film, le lecteur est plongé dans l’action, et surtout immergé dans les sensations et les réactions de ce jeune anti-héros, au lendemain d’un accident de la route. Les progrès sont réels. Mais ils sont lents. « Notre cible était toujours le marchand de donuts à l’autre bout du quartier. Il m’avait fallu des semaines, mais j’étais allé chaque fois un peu plus loin. (…) Pendant des années, vous redécouvrez la mauvaise surprise de tout ce que vous allez devoir faire à nouveau. Tous les désagréments et les indignités qui vous attendent. Vous mettrez au point stratégies et tactiques pour simplifier les gestes les plus banals ».
Quoi de mieux pour comprendre les difficultés de l’autre, son découragement, sa colère toujours, que de se mettre à sa place par le détour de la fiction ? Dans cette première partie du livre, celle du choc, pour la victime comme pour son entourage, de la déflagration tant physique qu’affective pour le premier cercle intime, Jarred McGinnis décrit avec sobriété et efficacité, le remords, les douleurs, le malheur à l’état brut. Celui qui prive d’énergie. Qui coupe les jambes si l’on ose dire.
On le dit souvent : « La vie continue ». Et c’est très vrai. C’est exactement cette manière de poursuivre le chemin, différemment, avec plus de reconnaissance de ses chances et moins d’exigence, que Jarred McGinnis a pris pour sujet avec ce premier roman virtuose. Récit efficace qui sert une belle aventure humaine.
Alors que le jeune Jarred renoue difficilement avec son père après dix ans d’absence, les pans de sa jeunesse se révèlent sous forme de flash-backs. Les chapitres consacrés au passé et à l’histoire de sa lente acceptation du handicap, du début de sa nouvelle vie en fauteuil roulant à vingt-six ans alternent avec un temps sans faille. La réalité est brutale, les kinés savent qu’il faut faire face à la réalité sans prendre de gant. « - Pas mal de mecs font comme si de rien n’était. Ils ignorent les conseils qu’on leur donne, mais plus vite tu te fourres la vérité dans le crâne, plus vite tu peux revenir à la normale », assène l’un d’eux au jeune Jarred. Qui n’en pense pas moins. « Encore ce mot. On ne peut pas dire à un individu physiquement apte que se retrouver infirme n’est pas un coup de tonnerre. Il ne peut pas l’accepter. À ce moment-là, je ne pouvais pas. »
« (…) Quand le handicap vient de vous tomber dessus, vous ne pouvez pas deviner qu’avec le temps vous n’aurez plus besoin de réfléchir à la façon de manœuvrer votre fauteuil roulant pour descendre d’un trottoir ou monter une marche. Vous vous adapterez et vous vous déplacerez différemment mais avec la même facilité. Suivant qui vous êtes, les handicapés vous apparaissent comme de memento mori, la bonne action de la journée à accomplir, un réceptacle pour votre pitié ou un motif de curiosité. Mais la dernière chose que vous êtes prêt à entendre, c’est que votre état n’a rien de grave. »
Pour les proches, observer sans broncher, ces souffrances et ces difficultés – les douleurs fantômes ne sont pas une légende urbaine, les escarres non plus -, la tristesse, les angoisses, et parfois la panique, toujours le sentiment d’impuissance, d’injustice et d’humiliation qu’elles engendrent n’est pas un lit de roses pour la famille non plus. D’autant que Jack, l’orchidéiste apparemment serein dans son célibat tardif, est presque seul pour épauler son fils.
Les deux frères ne s’entendent pas. Ils n’ont peut-être pas vécu leur enfance de la même manière. À la même place dans la famille. Et face au même couple. Ou à son fracassement alors que Jarred voit sa mère victime d’une attaque. Sa dépendance. Puis son décès. Un malheur ne vient jamais seul. Mais il ne se produit pas non plus par hasard.
Et c’est toute la finesse psychologique que d’en dévoiler petit à petit, subtilement les racines profondes. Il y a toujours une faute morale lourde à l’origine d’un drame. Les sept péchés capitaux ne sont pas édictés pour rien. Tant ils renvoient, comme la trame des textes sacrés, à des ressorts psychologiques et spirituels profonds. À des vérités psychologiques profondément ancrées. La lâcheté pourrait faire partie des grands tabous de nos sociétés. Mais il est bien vrai qu’elles n’en prennent certainement pas le chemin.
Pourquoi un être humain perd-il espoir ? En général quelqu’un lui donné l’exemple autour de lui. De préférence au pire moment, celui de sa prime jeunesse. Comment se redresse-t-il ? Comment reprend-il confiance dans son entourage ? Parce que d’autres autour de lui ont emprunté ce chemin de résilience avant lui. Le moindre mérite de ce lâche – mais faut-il employer le masculin uniquement ? – est de nous inviter à l’emprunter à notre tour. Le talent de Jarred McGinnis ? « (…) trouver les mots pour [nous] donner envie d’améliorer [notre] existence ». Pour aller vers la lumière et les rencontres vraies. Une fois la longue, la lourde parenthèse des traumatismes, des violences et des mutilations diverses refermée. C’est précisément ce que ce roman aide à faire. Tourner la page.
>Le lâche, de Jarred McGinnis , traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marc Amfreville. Éditions Métailié. 337 pages, 22 euros. >> Pour acheter le livre cliquer sur ce lien
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