Marie-Hélène Westphalen : « I sit at my desk, My life is grotesque » (Joseph Brodsky). Grotesque, et pourtant … Je suis en Bretagne, dans mon bureau, derrière une grande baie vitrée. Devant moi la mer, la plage, des rochers. C’est l’été, des arbres et des fleurs, couleurs saturées. Des enfants crient sur la grève ; et moi je demeure sur ma chaise, derrière la vitre, hors de portée. Face à mon ordinateur, inventant d’autres vies dans le plus total des silences. Vivante ?
«Le seul rituel : tourner autour, pour finalement s’asseoir à ma table et y rester. Une « table de silence » disait Quignard. Pas de musique donc, une, deux, trois tasses de thé, des petits gâteaux s’il le faut, une tension permanente, la solitude, et mes personnages autour. Au dedans. De grands moments de bonheur quand ça marche ».
« Non, tout dépend… néanmoins je surveille, comme une courbe de poids, la progression du manuscrit : chaque jour je note le nombre de signes écrits ».
« L’ordinateur comme prolongement de mon esprit, mes doigts qui écrivent plus vite que je ne pense ; mais toujours à portée de pensée, un stylo, mon stylo, pour griffonner quelques idées, bâtir un plan, vérifier l’ordonnancement des lieux que j’invente. J’ai besoin, j’aime ce rapport chaud et brouillon à l’écriture manuscrite. Et puis toujours des petits carnets dans mes poches ou mon sac pour noter les idées du jour, les images de la rue, les surprises de la vie qui va ».
« Malheureusement atteinte de perfectionnisme aigu, je vous laisse imaginer le mode…
Je garde les mots en bouche, je les triture dans ma tête, je les chante à tue-tête en silence, les prononce et les soupèse jusqu’à à la fois tenir l’exacte pensée et la musique. Prendre langue ».
« Je ne me le suis jamais dit, c’est les autres. Le plus beau compliment que j’aie jamais entendu ».
« Je lis beaucoup, énormément, le plus possible et ce n’est pas encore assez. Je lis allongée la plupart du temps, vite, je crois, avec appétit et concentration, comme on prend la mer. Je lis avec un crayon à la main, je souligne les passages que j’aime ou qui m’inspirent, je prends des notes sur les pages blanches à la fin du livre. J’aime faire mien un livre, y laisser mon empreinte, pourtant je n’aime pas l’abîmer physiquement : je ne corne pas les pages, je glisse des cartes postales pour marquer la page où je me suis arrêtée. J’indique toujours en exergue, quand, où, avec qui j’ai lu le livre. Une fois ma lecture achevée, je prends des notes. Pour ne pas perdre ce que j’ai lu. J’ai la hantise de l’oubli » !
« Je lis par plaisir, curiosité et gourmandise. J’y apprends la vie, à me connaître en découvrant les autres. Je me laisse aller à l’histoire, j’embarque. Mais en même temps, je passe derrière le texte et les mots, je regarde comment les artifices sont créés, l’histoire montée (une architecture, comme celle d’une maison) le suspense ménagé, la boucle bouclée. Ainsi par exemple, je note toujours les premières et dernières phrases des livres, passionnant !J’ai ainsi de centaines de pages de notes sur les livres que j’ai lus depuis des années. Des recueils de pépites, ma « radiographie littéraire ».
« Je suis les auteurs que j’aime, je m’inspire des critiques que je respecte et dont je partage les goûts (au premier rang desquels le Cahier Livres de Libération, et notamment et surtout les papiers de Claire Devarrieux ; mais aussi le Cahier Livres du Monde ; des magazines littéraires …)
J’écoute certains conseils d’amis et de libraires connus ».
« Très jeune : Le lys dans la vallée sur lequel j’ai du faire une rédaction en classe de Seconde, Puis à 16 ans à peine, Belle du Seigneur »
« Le Bateau, Nam Le, Albin Michel. Remarquable, contemporain, violent, pas un pouce de graisse, désespéré : un talent prodigieux ».
« Celui que je viens de finir : si je l’ai aimé j’ai du mal à le quitter. Et sinon tant d’autres : Voyage au bout de la nuit (Louis-Ferdinand Céline) ou les Mémoires d’Hadrien (Yourcenar), toute l’œuvre de Duras, Les enfants Tanner (Robert Walser), Henry Bauchau (sauf le Déluge) tant et tant, beaucoup de poésie aussi ».
« Non cela dépend des ouvrages que j’ai découverts, aimés, qui m’ont marquée et de l’actualité de la personne à qui j’offre un livre. Récemment j ’ai beaucoup offert L’attente du soir de Tatiana Arfel, Gilead de Marilynne Robinson, L’année de la pensée magique de Joan Didion, Glenn Gould piano solo de Michel Schneider mais aussi Lettre à D, histoire d’un amour de Gorz … »
« Oui j’offre mes livres quand ils sortent, j’ai envie de savoir ce que les autres en pensent, c’est très important. Je trouve assez violent d’offrir un livre, qu’il soit de vous ou d’un autre, et que l’on ne vous en dise rien en retour, ce silence est offense ».
« Je relis peu, ou alors des années plus tard. Je n’ai pas le temps de lire tout ce que je souhaite, alors relire … »
« Ma bibliothèque déborde, elle est ma vie et mon histoire. Mon mari, mes enfants menacent de jeter des livres, ils le font quelque fois, je vais les récupérer à la poubelle. C’est comme si on coupait des parties de moi. Nous venons de déménager, dans notre nouvel appartement nous manquons de bibliothèques, alors nous dormons sur des caisses de livre, j’aime assez cette idée. Les lits sont très hauts ! »
« Jamais pour moi ! ». Sans doute : j’aime le contact du livre en mains, l’odeur du papier, la tranche que l’on casse … j’aime l’objet-livre, du moins si l’on parle littérature et poésie ».
« L’homme qui marche au bord du monde, Albin Michel. Et je tourne mon dos vers toi, Virginia Isbell ed (argentine). En préparation : Souvent, les histoires d’amour exigent un meurtre ».
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