Tous les extraits

Un avenir radieux

« Un avenir radieux » de Pierre Lemaitre, Calmann-Levy, 2025

Colette observa la ferme un long moment, comme si un danger la guettait qu’elle ne discernait pas. Le danger était devant, elle le savait mais elle jeta tout de même un regard inquiet de l’autre côté, tendit l’oreille. La campagne bourdonnait de mouches, les feuilles des marronniers frémissaient par vagues. Le plus bruyant, c’était son cœur qui cognait à tout rompre, le sang lui battait les tempes. Elle tressaillit soudain. Le chien avait dû la sentir parce qu’il se mit à aboyer furieusement. Un sale molosse, large comme un veau, aux dents brillantes, qui se sauvait...
Giovanni Falcone

« Giovanni Falcone » de Roberto Saviano, Gallimard, 2025

Corleone, 1943 Une déflagration ébranle la terre. Puis, partout, des cailloux. Des cailloux, des lambeaux de chair et des fragments d’os. Pourtant, on croyait que tout cela appartenait au passé, que le diable avait remisé son redoutable tambour, que les sifflements, les détonations et le fracas de la guerre avaient abandonné le ciel. Que la pluie de métal était finie. Les bombardements ont cessé pendant l’été. Alors, que s’est-il passé ? Pourquoi les crucifix pendent-ils maintenant de travers, aux clous plantés dans les murs ? La via Rua del Piano offre un...
La baronne perchée

« La Baronne perchée » de Delphine Bertholon, Buchet-Chastel, 2025

Jamais Billie n’aurait pensé vivre un jour dans les arbres. Jamais, non plus, elle n’aurait cru que, vu d’ici, l’océan prendrait à ce point une autre dimension. Il semblait plus infini encore que depuis la terre ferme. Le soir de son installation, le ciel était clair et la lumière pâle de la lune teintait le monde d’une aura spectrale – la crête des vagues en aval, la route nationale en amont, la cime aiguë des douglas, le dôme des pins maritimes. L’environnement ressemblait au gris de son humeur, dans une version plus scintillante, presque magique. Autour...
Le savoir des victimes: Comment on a écrit l'histoire de Vichy et du génocide des juifs de 1945 à nos jours

« Le savoir des victimes » de Laurent Joly, Grasset, 2025

Le 13 juillet 1945, Joseph Billig, 44 ans, prisonnier de guerre récemment rapatrié, adresse une lettre à Georges Wellers. Il ne le connaît pas, mais Wellers, rescapé d’Auschwitz, ancien responsable du « service de l’hygiène » au camp de Drancy, aurait peut-être, lui a-t-on rapporté, croisé sa mère, Berta, durant les quelques jours qu’elle a passés dans le « camp juif » entre son arrestation, à Boulogne, et sa déportation, le 25 mars 1943, pour Sobibor. « Ma mère n’a pas donné de ses nouvelles et je suppose...
Et personne ne sait

« Personne ne sait » de Philippe Forest, Gallimard, 2025

L’hiver vient. Il vient ; ou plutôt : il est déjà venu. Sans qu’on le sache. Ni même que quiconque ait pressenti qu’il ne tarderait plus. Mais il est là maintenant et tout indique qu’il doit durer, qu’il durera longtemps. L’hiver de l’esprit – comme le livre le dit. L’hiver qui ensommeille la vie. Extraordinairement précoce parfois. Souvent, c’est le cas. Interminable, aussi. De plus en plus, il en va ainsi. Aucun printemps nouveau, nécessairement, ne le suit. Et le printemps d’avant, il semble si ancien que chacun, désormais, l’oublie. Ainsi...
Les gestes

« Les gestes » d'Amanda Sthers, Stock, 2025

J’ai lu ton court dossier au centre d’adoption. Tu ne sais rien de moi ni de ton autre papa, pourtant je te connais par cœur et je t’attends. Quand tu auras grandi, que tu tireras sur les fils du passé pour pouvoir t’accrocher à l’avenir, tu ouvriras ce livret. Tu y trouveras ce que je sais de l’histoire de ton grand-père Hippolyte, quelques lettres qu’il n’a pas postées, pas jetées non plus, comme s’il espérait qu’elles soient lues, des photos, la retranscription d’enregistrements qui datent de mon enfance et certains plus récents que je me suis amusé...
Textes retrouvés

« Textes retrouvés » de Jorge Luis Borges, Gallimard, 2025

Le paysage se bouscule contre la fenêtre. Je vois les dunes déliées et lisses s’étirer, la mer qui sous le ciel d’un bleu timide se presse contre l’horizon, les collines pentues et sableuses ouvertes dans l’amplitude de l’étreinte naissante, et dans l’intervalle qui descend jusqu’à la plage, quelque maison de zinc isolée par les lieues et assiégée par les foules de soleil. Tout cela et l’une de ces pyramides noires qui se dressent sur les puits de pétrole composent le paysage désolé qui m’entoure, et que connaissent fort bien tous les habitants de ce coin du...
Prisonnier du rêve écarlate

« Prisonnier du rêve écarlate » d'Andreï Makine, Grasset, 2025

L’homme surgissait au soir, avançait sans hâte, mais ne se laissait pas approcher. Plus d’une fois, Matveï eut envie de le rejoindre, d’engager la conversation. La distance entre eux se réduisait, le vagabond semblait sur le point de se retourner. Et, soudain, il disparaissait au milieu des arbres. « C’est dans ma tête, tout ça. Je suis crevé, je dors peu, alors je vois ce fantôme qui me tient compagnie… », se disait Matveï, s’efforçant de chasser une idée insidieuse : l’inconnu qui le précédait était… Son double ! Il lâchait un juron,...
Patronyme

« Patronyme » de Vanessa Springora, Grasset, 2025

Il paraît que les noms de famille sont apparus récemment, à l’échelle de l’histoire de l’humanité. En Occident, on fait remonter la généralisation de leur usage au XIIe siècle, pour faciliter le recensement et la collecte des impôts. Avant cela, on vivait très bien sans. Les Gaulois ne portaient qu’un prénom. Pierre, Paul, Jacques étaient en théorie les égaux de tous et le roi de France lui-même n’avait pas non plus de patronyme. En les colonisant, les Romains avaient déjà tenté de leur imposer le gentilice (nom de famille) et le cognomen (surnom), mais comme on...
Ta promesse

«Ta promesse » de Camille Laurens, Gallimard, 2025

Gilles, donc, était à l’initiative du tour solennel que prenait tout à coup le dîner au bord de la mer. C’était l’été, le soleil était dans les bleu-rose, très bas sur l’horizon – tu sais que quand on le voit si bas, le soleil est déjà couché, en réalité ? Ce qu’on voit n’est que son reflet. Les bougies tremblaient sur les nappes blanches empesées, effaçant les disgrâces – à la lueur d’une flamme tout le monde est beau. Les gens se levaient pour aller choisir leur poisson, des femmes bronzées avec des robes en mousseline, des enfants...
De nos blessures un royaume

« De nos blessures un royaume » de Gaëlle Josse, Buchet-Chastel, 2025

Dans la salle, le public la réclame. Elle. Il la veut. Maintenant. Elle prend une longue inspiration, ferme les yeux quelques instants. D’une main elle écarte les pans du rideau en velours sombre et se glisse dans l’ouverture, puis elle s’avance vers le devant de la scène. Lumière. Elle salue. Son buste plonge vers le sol et elle laisse les applaudissements rouler sur ses épaules. Son dos blanc, ses bras blancs, ses pieds nus émergent d’une robe bleu nuit qui s’enroule autour d’elle. Puis elle se redresse, recule de trois pas et saisit les mains des deux danseurs les plus...
Bien-être

« Bien-être » de Nathan Hill, Grand prix de littérature américaine, Gallimard, 2024

Il vit seul au troisième étage d’un vieil immeuble en brique sans vue sur le ciel. Quand il regarde par la fenêtre, il ne voit que sa fenêtre à elle – de l’autre côté de l’étroite ruelle, presque à portée de main, où elle vit seule, elle aussi, au troisième étage d’un autre vieil immeuble. Il ne connaît pas son prénom, ni elle le sien. Ils ne se sont jamais parlé. C’est l’hiver à Chicago. Aucune lumière, ou presque, ne pénètre dans cette ruelle qui les sépare, ni d’ailleurs aucune pluie, neige, grésil, brouillard, ou ce truc mouillé, vaguement...
Ma vie avec Gérard de Nerval

« Ma vie avec Gérard de Nerval » d'Olivier Weber, Gallimard, 2024

Où commence le voyage ? Dès mon plus jeune âge, un poète m’a incité à poser la question autrement : où et comment débute l’intention du voyage ? Oui, dans quel ruisseau ou filet d’eau prend-elle naissance ? Dans quelles pages de livre ou parfum de bazar l’élan vagabond vous incite-t-il à franchir le premier pas… La poésie révèle le sens enseveli. Une phrase de Gérard de Nerval m’a très jeune poussé dehors – à vrai dire, j’y étais déjà, mais il manquait le vent dans les voiles. « Je voyage pour vérifier mes...
Le murmure

« Le murmure » de Christian Bobin, Gallimard, 2024

Les alliances ont la forme circulaire de l'univers. Une harmonie parfaite, à la seule condition d'être portées par deux personnes qui s'aiment plus que profondément, plus que sentimentalement, et infiniment plus que socialement. Sans ces unions qui se font tous les jours, la sphère ne pourrait pas se former et ce serait le chaos. Mais il suffit de deux alliances et d'un amour vrai pour que tout soit préservé. On peut dire également, sur un plan enfantin, que nos deux alliances rejointes sont les deux yeux de chat du divin, qui dans la nuit nous sourient... »
L'Invention de la solitude

« L'invention de la solitude » de Paul Auster, Actes Sud, édition de 2014

Il trouve extraordinaire, même dans l’ordinaire de son existence quotidienne, de sentir le sol sous ses pieds, et le mouvement de ses poumons qui s’enflent et se contractent à chaque respiration, de savoir qu’il peut, en posant un pied devant l’autre, marcher de là où il est à l’endroit où il veut aller. Il trouve extraordinaire que, certains matins, juste après son réveil, quand il se penche pour lacer ses chaussures, un flot de bonheur l’envahisse, un bonheur si intense, si naturellement en harmonie avec l’univers qu’il prend conscience d’être vivant dans le...
Le Livre de l'intranquillité, édition intégrale

«Le livre de l’intranquillité » de Fernando Pessoa, traduit du portugais par Françoise Laye, Bourgois, édition de 2024

Je me demande alors quelle est cette chose que nous appelons mort. Je ne parle pas du mystère de la mort, que je ne puis pénétrer, mais de la sensation physique de cesser de vivre. L'humanité a peur de la mort, mais de façon incertaine ; un homme normal se bat bien à l'armée, et c'est bien rarement qu'un homme normal, vieux ou malade, contemple avec horreur l'abîme de ce néant qu'il attribue à ce même abîme. Tout cela par manque d'imagination. Il est tout aussi indigne, de la part d'un être pensant, de croire que la mort est un sommeil. Et pourquoi le serait-elle, puisqu'elle ne...
Personne morale

« Personne morale » de Justine Augier, Actes Sud, 2024

Dans un immeuble proche de la rue Saint-Lazare, un long couloir conduit, au fond d’un appartement sombre transformé en siège d’association, au petit bureau de Marie-Laure Guislain, Babaka Tracy Mputu et Sara Brimbeuf, à l’œuvre en plein été. La première est juriste, doit avoir un peu moins de trente-cinq ans alors et travaille pour l’association depuis quelques années. Les deux autres n’ont pas vingt-cinq ans, sont élèves avocates et commencent un stage de six mois. Concentrées dans ce petit bureau parisien, elles tra- vaillent comme on travaille l’été, dans le calme,...
Au soir d'Alexandrie

« Au soir d'Alexandrie » d'Alaa El Aswany, Actes Sud, 2024

Si vous allez pour la première fois chez Artinos, on a dû vous prévenir qu’il était impossible d’y trouver une table sans avoir réservé. On a dû vous raconter la mésaventure survenue à d’importantes personnalités égyptiennes ou étrangères : estimant qu’Artinos était un restaurant comme les autres, elles s’y étaient rendues sans prévenir. Le propriétaire Georges Artinos s’était excusé poliment mais fermement puis il leur avait proposé de prendre leur repas au comptoir. Certains avaient accepté, d’autres avaient quitté les lieux, mais tous avaient compris...
Leçons d'un siècle de vie

« Leçons d’un siècle de vie » d'Edgar Morin, Denoël, 2021

Qui suis-je ? Je réponds : je suis un être humain. C’est mon substantif. Mais j’ai plusieurs adjectifs, d’importance variable selon les circonstances ; je suis français, d’origine juive sépharade, partiellement italien et espagnol, amplement méditerranéen, européen culturel, citoyen du monde, enfant de la Terre-Patrie. Peut-on être tout cela en même temps ? Non, cela dépend des circonstances et des moments où tantôt l’une tantôt une autre de ces identités prédomine. Comment peut-on avoir plusieurs identités ? Réponse : c’est en fait le cas commun. Chacun a...
Bel Ami

« Bel-Ami » de Guy de Maupassant, 1885

Quand la caissière lui eut rendu la monnaie de pièce de cent sous, Georges Duroy sortit du restaurant. Comme il portait beau, par nature et par pose d’ancien sous-officier, il cambra sa taille, frisa sa moustache d’un geste militaire et familier, et jeta sur les dîneurs attardés un regard rapide et circulaire, un de ces regards de joli garçon, qui s’étendent comme des coups d’épervier. Les femmes avaient levé la tête vers lui, trois petites ouvrières, une maîtresse de musique entre deux âges, mal peignée, négligée, coiffée d’un chapeau toujours poussiéreux et vêtue...

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